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« Si la raison, dit encore Kant dans la Critique du jugement, pouvait nier avec une entière certitude Dieu et l’immortalité, elle ne regarderait plus la loi morale elle-même que comme une pure illusion de notre raison au point de vue pratique[1]. » — Sans doute on ne peut nier ces choses avec une entière certitude mais d’autre part on ne peut les affirmer avec certitude ; on ne peut même y croire que pour des raisons morales. Donc il y a dans la moralité un x. « Pour ne pas tomber en contradiction avec elle-même, conclut Kant, la raison doit reconnaître la réalité de Dieu et de l’immortalité[2]. » — Mais il n’y aurait aucune contradiction pour la raison à reconnaître tout à la fois le caractère problématique de la loi morale, de Dieu et de l’immortalité. Ce qui est illogique, au contraire, c’est de placer parmi les certitudes apodictiques la moralité, malgré l’incertitude des conditions de sa certitude objective, — Dieu et l’immortalité, — sans lesquelles elle serait illusoire et non pratique. Une équation où subsistent des inconnues n’est pas une équation apodictiquement résolue ; c’est un problème.

En résumé, Kant n’a vraiment justifié ni la possibilité de la loi morale, ni son incompréhensibilité, ni la manière dont nous pouvons connaître son existence, ni l’objectivité de cette loi. Nous rechercherons, dans une prochaine étude, s’il a mieux réussi à trouver une méthode de détermination pour le devoir. Dès à présent, si nous nous reportons à la question première que Kant s’était engagé à résoudre : « montrer l’existence d’une raison pure pratique, » nous trouvons qu’elle n’est résolue d’aucune manière. Il est clair d’abord que Kant n’a pas vraiment critiqué la raison pure pratique, et la critique que nous venons d’en esquisser nous-même prouve que Kant a eu tort de s’en prétendre dispensé[3]. A-t-il du moins fait ce qu’il avait promis de faire et « montre l’existence », sinon la valeur objective, de cette raison pure pratique ? — Non ; il a simplement montré qu’il

  1. Critique du jugement, II, 206, note.
  2. Ibid., 206, note.
  3. Ainsi se trouve confirmé ce que nous avons indiqué dans notre étude précédente. « Pourquoi, dit Kant lui-même au début de sa préface, cette critique n’est-elle pas intitulée critique de la raison pure pratique, mais simplement critique de la raison pratique en général, quoique le parallélisme de la raison pratique avec la spéculative semble exiger le premier titre, c’est une question à laquelle cet ouvrage répond suffisamment. Son objet est seulement de montrer qu’il y a une raison pure pratique, et c’est dans ce but qu’il critique toute la puissance pratique de la raison. S’il réussit, il n’a pas besoin de critiquer la puissance pure elle-même, etc. » Kant dans son Introduction, revient encore sur ce point. « Nous n’avons pas, dit-il (p. 148, trad. Barni), à faire une critique de la raison pure pratique, mais seulement de la raison pratique en général. » — Remarquons que, malgré ce double avertissement, Kant donne à son ouvrage un plan analogue à celui de la Raison pure ; pourquoi ? – « Parce que, dit-il, c’est