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supposition de l’être inconditionnel, de la nature de nos facultés et de l’opposition qui existe entre l’entendement et l’intuition. Il y a des choses qui, pour l’intuition, sont, et dont la raison déclare cependant le contraire nécessaire (d’une nécessité morale) ; la raison est alors obligée de déclarer en même temps que ce qui est nécessaire est possible, et que par conséquent le possible n’est pas partout d’accord avec le réel. Or un possible nécessaire, qui cependant n’existe pas, c’est un devoir ; et le pouvoir de faire exister et arriver ce qui est rationnellement nécessaire est la liberté. « Ici donc, puisque la nécessité objective de l’action[1], comme devoir, est opposée à celle à laquelle cette action serait soumise comme événement si son principe était dans la nature et non dans la liberté, c’est-à-dire dans la causalité de la raison, et que l’action absolument nécessaire moralement est considérée physiquement comme tout à fait contingente, — c’est-à-dire qu’elle devrait nécessairement arriver, mais que souvent elle n’arrive pas, — il est clair qu’il faut chercher uniquement dans la nature objective de notre faculté pratique la cause pourquoi les lois morales doivent être représentées comme des ordres et les actions conformes à ces lois comme des devoirs, et pourquoi la raison n’exprime pas cette nécessité par être, arriver, mais par devoir être. » De même, l’idée de liberté résulte de notre constitution, qui établit une opposition entre le possible et le réel, qui distingue aussi par cela même le contingent du nécessaire, qui enfin, parmi les choses nécessaires, distingue les nécessités de la nature et les nécessités de la raison, souvent opposées les unes aux autres. La liberté ainsi conçue est un concept transcendant et problématique, puisque nous ne pouvons nous la représenter ni par l’entendement ni par l’intuition ; « ce concept ne peut donc nous fournir aucun principe constitutif pour déterminer un objet et sa réalité objective ; mais, d’après la constitution de notre nature, en partie sensible, la liberté n’en est pas moins pour nous et pour tous les êtres raisonnables, autant que nous pouvons nous les représenter d’après la nature de notre raison, un principe régulateur universel, qui ne détermine pas objectivement la nature de la liberté même, comme forme de la causalité, mais qui n’en prescrit pas moins impérieusement à chacun, d’après cette idée, la règle de ses actions[2]. »

Toute l’économie intérieure de la doctrine kantienne nous semble mise en lumière dans ces pages capitales. Maintenant, la question est de savoir si, en passant des idées d’absolu et de finalité à celle de

  1. Expression ambiguë où se confondent la nécessité causale et la nécessité finale, la nécessité métaphysique et la nécessité morale.
  2. Ibid., 83, 84.