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morale est absolument inexplicable et qu’il faut commencer par croire que nous la connaissons.

Ceci nous amène à rechercher la valeur objective de la conception du devoir.

IV

valeur objective de la conception du devoir

Dans sa Critique du jugement, Kant étudie et compare les trois grandes idées régulatrices 1o de l’être nécessaire, 2o du devoir, 3o de la finalité, et il montre qu’elles tiennent à notre constitution particulière et subjective. La constitution de notre esprit, dit-il, a pour caractère essentiel la distinction de l’entendement et de la sensibilité, l’un ne pouvant que concevoir le possible sans saisir la réalité, l’autre ne pouvant que saisir le réel par intuition, sans concevoir ce qui le rend possible. L’opposition du possible et du réel a donc son origine dans l’imperfection de notre intelligence, qui n’est pas tout entière intuitive. « Si notre entendement était intuitif, il n’aurait pas d’autre objet que le réel[1]… Un entendement pour qui cette distinction n’existerait pas jugerait que tous les objets que je connais sont (existent) ; et la possibilité de quelques objets qui n’existent pas, c’est-à-dire la contingence de ces objets quand ils existent, et par conséquent aussi la nécessité, qu’on est forcé de distinguer de cette contingence, ne tomberaient pas sous sa représentation… Cette proposition, que les choses peuvent être possibles sans être réelles, et que par conséquent on ne peut pas conclure de la simple possibilité à la réalité, n’a donc de valeur réelle que pour la raison humaine, et rien ne prouve que cette distinction ait son principe dans les choses mêmes[2]. » Ce qui montre bien, d’ailleurs, le caractère relatif de cette distinction, c’est que notre raison éprouve le besoin de s’élever au-dessus. Pour rétablir le lien du possible et du réel, elle se sert de trois idées, celle de l’être absolument nécessaire, celle du devoir et celle de la finalité. En premier lieu, « elle admet comme existant d’une manière absolument nécessaire quelque chose (le principe premier) en quoi la possibilité et la réalité se confondent ; » mais ni l’entendement ni la sensibilité ne peuvent en aucune façon se représenter le premier principe et son mode d’existence. En effet, « si l’entendement le conçoit (qu’il le conçoive comme il veuille), le pre-

  1. P. 82.
  2. Tome II, P. 81, trad. Barni.