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g. guéroult. — du rôle du mouvement

On s’explique aisément par les considérations qui précèdent, l’ordinaire pauvreté des peintures sur commande, des concours, etc., Devant ce sujet qu’il n’a point choisi, qui souvent ne lui dit rien, l’artiste reste froid, et cet état mental, transporté dans son œuvre, se communique infailliblement au spectateur.

En résumé, dans tous les arts plastiques, nous voyons le mouvement oculaire jouer un rôle indispensable, prépondérant. Ce mouvement a un caractère spécial sur lequel il importe de bien insister. L’architecte, le peintre, le sculpteur, fournissent au regard une trajectoire qui peut être parcourue avec une vitesse arbitraire, variable pour chacun des spectateurs ; le choix du point de départ, le sens du mouvement sont également arbitraires. La trajectoire offre des accidents, des repos où le regard doit presque nécessairement s’accrocher au passage. La symétrie, la reproduction de parties similaires, en architecture, constituent, pour le parcours oculaire, une sorte d’invitation à suivre une marche déterminée. En sculpture et en peinture, le même office est rempli par l’importance plus grande apportée à certaines parties, à certaines particularités du sujet. Néanmoins, le spectateur conserve une grande liberté de mouvements. Ceci est évidemment, au point de vue cinématique, une infériorité. Dans le mouvement oculaire, la notion de vitesse reste confuse, variable avec chaque individu ; les émotions simultanées, collectives, sont impossibles.

Si l’on compare entre eux les trois principaux arts plastiques, il semble que l’on puisse accepter les conclusions suivantes.

L’architecture, réduite, par les lois de la pesanteur, à l’emploi presque exclusif des lignes verticales et horizontales au moins à titre d’axes, est moins expressive que la sculpture qui dispose beaucoup plus librement de ses directions, dans la reproduction d’un personnage ou d’un groupe.

Pour la peinture malgré l’imperfection constitutionnelle en quelque sorte signalée plus haut, l’artiste est en possession d’un matériel infiniment plus riche. Les lignes d’un portrait, les groupements de personnages, d’animaux, d’édifices, d’arbres, etc., lui donnent la possibilité de pousser jusqu’aux dernières limites l’intérêt et la variété de la trajectoire oculaire.

Toutes choses égales d’ailleurs, la peinture est donc beaucoup plus expressive que la sculpture et l’architecture.

Georges Guéroult.
(À suivre).