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loin que l’horizon, et, en perspective, les deux côtés de la voie apparaissent plutôt comme deux verticales de dimensions médiocres. L’idée de la grandeur ne peut naître, dans le sens de la profondeur, que par réflexion, pour ainsi dire, à la vue de nombreux becs de gaz disposés le long de la rue, par exemple, et dont vous pouvez apprécier l’écartement, ou bien, au dedans d’un monument, du nombre de colonnes ou d’arceaux qui se succèdent de l’entrée jusqu’au fond.

La dimension de largeur comporte des mouvements du regard plus étendus ; nous sentons néanmoins très bien qu’elle ne peut dépasser un certain maximum. Quand on regarde l’Océan du haut d’une falaise, on voit la ligne qui sépare le ciel de l’eau se terminer très nettement de chaque côté. En pleine mer, on a aussi le sentiment que la ligne d’horizon forme, autour de nous, un arc qui se fermerait si nous faisions un tour sur nous-même. En un mot, la dimension horizontale de largeur ne nous donne jamais la notion de l’infini. Il n’en est pas de même de la dimension de hauteur. Notre regard peut, verticalement, s’élever jusqu’aux étoiles, à des distances que nous savons supérieures à toute mesure imaginable toute verticale nous apparaît comme une droite indéfinie et jamais comme une courbe fermée.

Il intervient encore ici une autre considération qui nous a été signalée par le Dr Javal. L’habitude joue un rôle extrêmement important dans nos perceptions. Quand nous évaluons des grandeurs, nous prenons mentalement pour unité, pour terme de comparaison, des objets usuels. Or il suffit d’un peu de réflexion pour constater que les termes de comparaison, usités pour les dimensions verticales et les dimensions horizontales, ne sont pas les mêmes. Une rue qui a 200, 300 mètres de long est une petite rue ; un monument qui a 45 mètres de haut, comme l’arc de triomphe de l’Étoile, nous semble déjà fort respectable, parce que les maisons de Paris n’ont guère plus de 15 à 20 mètres. La plus haute des pyramides d’Égypte, la flèche de la cathédrale de Strasbourg, réputées parmi les constructions de main d’homme les plus élevées, ne mesurent pas 150 mètres : Le mont Blanc a un kilomètre de haut tout au plus. En résumé, nous sommes habitués à vivre dans un monde où les dimensions en hauteur sont beaucoup plus petites que les dimensions en longueur ou en largeur. Il suit de là que, pour peu qu’un édifice soit élevé, sa hauteur est une fraction importante de ce que nous appelons une grande hauteur, tandis que la largeur de la façade est une fraction complètement insignifiante des longueurs horizontales, rues, routes, etc., auxquelles on peut la comparer.