Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/581

Cette page n’a pas encore été corrigée
577
g. guéroult. — du rôle du mouvement

Quant à la musique, pour achever notre énumération, elle n’éveille point en nous la perception d’objets sensibles. En raison du mécanisme spécial de l’audition, elle représente, avec une perfection extraordinaire, le mouvement lui-même dans ses nuances et ses variétés les plus diverses.

Si chacun des beaux-arts s’adresse à l’imagination[1] en lui parlant une langue spéciale, chacune de ces langues a sa grammaire, sa syntaxe, sa logique, son génie, dont les traits principaux sont fournis par les propriétés caractéristiques du sens dont elle emprunte directement le secours. À notre époque, la confusion des mots et des idées semble poussée à son comble ; il y a des poètes qui ont la prétention de peindre en vers, des peintres qui, en peinture, font de la littérature ou de la tapisserie, des musiciens qui, dans la description des passions ou même des événements, aspirent à une précision de rendu que la géométrie descriptive elle-même ne comporterait pas.

Il y a un intérêt évident à remettre, s’il est possible, un peu d’ordre dans ce chaos.

Les beaux-arts n’ont réellement affaire qu’à trois sens, qui sont le toucher, la vue et l’ouïe. Les combinaisons plus ou moins agréables de sensations olfactives ou sapides n’ont jamais pu rentrer dans le domaine de l’esthétique, bien que ces sensations soient, intrinsèquement, au moins aussi agréables que les autres. Il en est de même de ces dépendances du toucher qui s’appellent la sensibilité au froid, au chaud, etc.[2]. Sans insister sur ce fait nous allons aborder l’étude des trois sens esthétiques, exposer rapidement les propriétés caractéristiques de chacun d’eux, et nous efforcer d’en déduire les conséquences qui en ressortent pour la théorie et la pratique des beaux-arts.

§ 3. — Le toucher.

En négligeant, comme nous allons le faire ici, tout ce qui, dans le toucher, se rattache à la sensibilité générale, c’est-à-dire la sensation du froid, du chaud, du plaisir ou de la douleur physique, il nous reste ce qu’on pourrait appeler spécialement le palper, dont l’organe principal, chez l’homme, est la main. Mettons un aveugle-né en présence d’un objet nouveau pour lui. Il y porte la main, et promène

  1. Imagination est pris ici dans le sens littéral, la faculté de former des images des objets.
  2. L’explication de ce fait est très simple dans notre théorie. En effet, les sensations olfactives ou sapides n’impliquent en aucune manière le mouvement qui est le principe de l’émotion. Elles ont un caractère plutôt statique que dynamique.