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DU ROLE DU MOUVEMENT

dans le

ÉMOTIONS ESTHÉTIQUES




Depuis le commencement du siècle, la science a réussi à imprimer une unité grandiose à l’explication des différents phénomènes physiques elle les ramène tous à des formes diverses d’un phénomène plus général, qui est le mouvement. Les théories de la chaleur, de la lumière, de l’électricité, de la cohésion, de l’affinité, sont aujourd’hui autant de chapitres détachés de la cinématique générale. L’idée ancienne de la force a fait place à une conception nouvelle. La force n’est plus je ne sais quelle entité abstraite attelée à la matière inerte ; tout mouvement a pour cause un mouvement antérieur, dont il est une simple modification. Et ces vues des Carnot, des Clausius, des Joule, ont été confirmées expérimentalement par la constatation de l’équivalence, de la réciprocité des forces naturelles, se transformant les unes dans les autres, en proportions définies, mesurables.

Depuis quelques années, plusieurs savants, penseurs ou critiques, ont essayé de faire un pas de plus. Dans son beau livre Von musikalisches Schönen[1], M. Hanslick a cherché et, à mon avis, a trouvé l’explication des émotions esthétiques qui dérivent de la musique, en assimilant cet art à un mouvement sui generis d’une richesse, d’une variété, d’une précision auxquelles rien ne saurait être comparé dans le monde matériel. Helmholtz a complètement adopté cette manière de voir, qui lui a suggéré quelques-unes des pages les plus intéressantes, quelques-uns des aperçus les plus nouveaux de son célèbre ouvrage Die Lehre der Tonempfindungen.

En analysant cette théorie, en constatant par de nombreux exemples empruntés aux plus grands maîtres son exactitude, sa fécondité, je fus amené, vers 1876, à me demander si elle ne pourrait pas s’étendre à d’autres arts que la musique, et à rechercher si, dans les émotions esthétiques qui dérivent de l’architecture, de la scul-

  1. Pour le compte-rendu de ce livre voir la Revue d’octobre 1878.