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pour juger leurs facultés d’après les œuvres accomplies, décrire en même temps les diverses formes de civilisation qu’ils ont ébauchées ou réalisées. » On le voit, c’est bien de la psychologie ethnographique que M. Letourneau a voulu faire, c’est de la psychologie ethnographique qu’il a fait ; mais la psychologie ethnographique n’est pas de la sociologie, bien qu’elle soit indispensable à la sociologie, bien qu’elle s’y lie étroitement.

On pourrait aussi adresser plus d’une critique à l’ordre qu’a suivi l’auteur, à la disposition des matières qu’il a traitées. Pourquoi, par exemple, placer l’étude de la vie sociale avant l’étude de la vie intellectuelle ? Il semble que cette dernière étude aurait dû être placée entre l’étude de la vie affective et celle de la vie sociale. Pourquoi encore placer les chapitres sur la religion dans le livre sur la vie affective ? Sans doute la sensibilité, l’émotivité a joué un grand rôle dans la formation et le développement des religions mais une religion n’en est pas moins une conception du monde elle est en grande partie intellectuelle, la religion étant en même temps une philosophie. À mon avis, d’ailleurs, c’est dans la vie sociale, que la religion aurait dû être placée, la meilleure raison pour cela, c’est la place immense que tient la religion dans les sociétés primitives ; et le grand rôle que jouent souvent ses ministres, rivaux des chefs militaires, qu’ils dominent souvent ; chefs suprêmes eux-mêmes quelquefois, ils réunissaient tous les pouvoirs, comme au Pérou, par exemple. Si la religion doit être étudiée dans un traité de sociologie, c’est surtout en tant qu’elle intervient directement dans le fonctionnement de la société.

Après ces remarques, qui portent surtout sur la constitution de l’ouvrage, sur la forme plutôt sur le fond, abordons l’ouvrage lui-même.

Il n’y a pas grand chose à en dire ; en somme les théories présentées par M. Letourneau étaient à peu près complètement connues avant lui. Il critique certaines théories, certaines hypothèses de Spencer. Spencer prétend par exemple que l’endogamie est propre aux races pacifiques. Les Néo-Zélandais sont très belliqueux cependant, et chez eux épouser ou acheter plutôt une femme appartenant à une autre tribu était sérieusement interdit. Le même peuple donne aussi des raisons contre l’opinion de Mac Lennan que la cérémonie du mariage par capture serait un reste ou un signe de l’exogamie, car « partout l’endogamie néo-zélandaise était accompagnée d’enlèvement et de combat simulé. » Sir John Lubbock d’ailleurs avait déjà combattu cette théorie, et soutenu que l’exogamie fut la conséquence du mariage par capture et non le mariage par capture de l’exogamie. Disons encore que M. Letourneau reproche à M. Spencer « sa comparaison si peu soutenable des organismes sociaux et des organismes biologiques » (Préface). Il dit encore ailleurs (p. 364) : « À vrai dire, entre la structure des sociétés et celle d’un animal, il n’y a aucune similitude réelle. La comparaison entre les éléments histologiques d’un animal et les individus ou familles constituant une société humaine n’est qu’un artifice de rhétorique ; elle peut