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Dr g. le bon. — la question des criminels.

cette forme particulière, insignifiante en apparence, très redoutable au point de vue des altérations intellectuelles, dans laquelle le malade, sans éprouver de troubles extérieurs apparents, perd conscience du monde entier pendant quelques instants, et bien d’autres lésions du système nerveux qu’il serait inutile d’énumérer ici[1], ont souvent pour conséquences des dérangements intellectuels qui conduisent à toutes les variétés possibles de crime. Le nombre de paralytiques généraux condamnés pour attentats à la pudeur, d’épileptiques guillotinés pour assassinats, est véritablement immense.

Loin de diminuer avec les progrès de la civilisation, cette classe de criminels tend chaque jour à devenir plus nombreuse. À aucune époque peut-être de l’histoire, les lésions acquises du système nerveux, lésions qui peuvent ensuite se transmettre par hérédité, n’ont été aussi fréquentes qu’aujourd’hui. Les excitants physiques et moraux de toutes sortes, le tabac, l’alcool, le travail excessif, l’ambition de parvenir, les excès, etc., ont augmenté d’une façon inquiétante le nombre des individus atteints d’affections du système nerveux. On caractériserait facilement notre époque en l’appelant l’âge des excités. Au temps des croisades et pendant tout le moyen âge, il y · eut également surexcitation du système nerveux ; mais la surexcitation, au lieu de porter sur des fonctions très diverses, ne portait guère que sur une catégorie très limitée d’idées, les idées religieuses : ce fut l’âge des hallucinés.

Pour en revenir aux criminels par lésions acquises du système nerveux, il est fort important de faire remarquer que ce ne sont pas seulement les lésions du cerveau ou de la moelle épinière qui peuvent avoir pour conséquence des troubles intellectuels profonds et des actes criminels ; celles qui atteignent les organes des sens peuvent avoir des résultats identiques.

Aussi, bien que l’aliénation ait le plus souvent pour cause l’altération des centres nerveux chargés de la conservation ou de l’élaboration des impressions sensorielles, elle a fréquemment aussi pour origine l’altération des appareils des sens qui reçoivent ces impressions. On a vu des individus, devenus aliénés après avoir perdu la vue, recouvrer la raison lorsqu’une opération leur eut rendu la vision détruite. Sur cent vingt aveugles examinés par le Dr Dumont, trente-

  1. Parmi les nombreux exemples de penchant invincible à des actions criminelles, par suite de lésions acquises du système nerveux, un des plus curieux est ce zouave blessé à la tête au combat de Bazeilles et qui, après sa guérison, tombait à certains moments dans un état particulier, pendant lequel il volait tous les objets brillants, même sans valeur, qui s’offraient à ses yeux, et sans chercher nullement à se cacher. Son histoire détaillée a été publiée par plusieurs journaux de médecine.