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Dr g. le bon. — la question des criminels.

sations compliquées et méthodiques comme les nôtres, de tels caractères reparaissent souvent par atavisme, mais ils sont trop mal adaptés aux milieux actuels pour ne pas être fatalement condamnés à disparaître.

À une autre catégorie d’héréditaires appartient la classe fort nombreuse ; — elle constitue la foule — d’individus n’ayant en réalité aucunes dispositions criminelles spéciales, mais dont le caractère et la moralité sont si faibles qu’il dépendent absolument des circonstances. Que les exemples soient bons ou mauvais, ils suivront ces exemples ; honnêtes dans un milieu honnête, ils deviendront vicieux

    Cellini, ayant appris qu’un de ses amis avait été tué par les soldats du guet, « poussa des cris de rage si forts qu’on les aurait entendus à dix milles. » S’étant fait indiquer l’auteur du meurtre, il se précipite immédiatement sur lui et lui enfonce son épée dans le ventre. Les camarades du défunt fondent à leur tour sur l’agresseur et le blessent mortellement. Cellini veut venger immédiatement son frère, mais, en ayant été empêché, il quitte son ennemi, finit par le surprendre et essaye de lui abattre la tête d’un coup de couteau. La victime, dangereusement blessée, s’échappe mais Cellini la rejoint et lui enfonce avec tant de force son poignard dans le dos qu’il ne peut le retirer. Le pape apprend l’affaire ; mais, comme il est de bonne humeur ce jour-là, il n’y attache aucune importance.

    Ce pape possédait du reste le caractère impulsif propre à tous ses contemporains. Benvenuto Cellini ayant un jour rencontré dans la rue un de ses amis, Benedetto, qui lui cherchait dispute, il lui lance aussitôt à la figure les pierres qui lui tombent sous la main. L’adversaire est blessé, mais assez peu grièvement, puisqu’il reprend ses occupations le même jour. L’affaire est racontée au pape. Le pontife, qui est sans doute de mauvaise humeur à ce moment, donne immédiatement l’ordre au gouverneur d’arrêter et de faire pendre sur-le-champ Cellini et de ne pas se présenter devant lui avant que l’exécution ait eu lieu. Cellini ayant réussi à s’échapper, le même pape qui le matin voulait faire pendre sans jugement le grand artiste, qui lui était fort précieux, déclara le soir que « pour tout au monde il ne voudrait pas le perdre. » Tous ces gens-là obéissent à leurs impulsions instinctives avec aussi peu d’hésitation que le chat n’en met à se précipiter sur la souris qui passe à sa portée.

    Toutes les aventures que raconte Benvenuto, et qui sont analogues du reste à celles qui fourmillent dans les ouvrages de l’époque, nous permettent de nous faire une idée bien nette de ce qu’étaient les caractères impulsifs dont je parle. Le sentiment instinctif et l’acte n’étaient jamais séparés par la réflexion. Quand on rencontrait un ennemi, on se précipitait sur lui pour le tuer, absolument comme deux chiens ennemis qui se rencontrent au coin d’une borne sautent l’un sur l’autre. Benvenuto rencontre son rival l’orfèvre Pompeio chez un apothicaire sans dire un seul mot il lui enfonce deux fois son poignard dans la gorge. Il assure du reste que son intention n’était pas de le tuer ; mais, ajoute-t-il philosophiquement, « l’on n’est jamais sûr de ses coups. »

    La petite aventure suivante, que je trouve dans les Mémoires du grand artiste et où il raconte comme chose toute simple un acte qui enverrait aujourd’hui son auteur en cour d’assises, est fort instructive. En se rendant à Florence, Benvenuto Cellini arrive dans une auberge dont le propriétaire exige, suivant l’habitude de sa maison, d’être payé d’avance. Cellini reçoit un lit qu’il reconnaît lui-même être propre et excellent, mais il est tellement blessé d’avoir payé d’avance qu’il songe simplement à mettre le feu à la maison pour se venger. Là où l’homme moderne habitué à réfléchir avant d’agir se bornerait