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des hommes de vingt-un à quarante-trois ans dépasse le nombre des hommes au-dessus de quarante-trois ans ; nous en conclurons que, sous le régime du suffrage universel, l’influence politique, toutes choses égales d’alleurs, appartient aux jeunes gens. Supposons qu’un pays soit divisé en cinq cents circonscriptions électorales et que dans chaque circonscription la moitié plus un des électeurs appartienne au parti bleu, le reste appartenant au parti jaune, il arrivera que tous les représentants du pays appartiendront au parti bleu, quoique le nombre des bleus ne soit que de 500 supérieur au nombre des jaunes. « Il est manifeste, dit M. Cournot, que les conditions de majorité de pluralité, imposées aux décisions d’un corps judiciaire ou d’une assemblée délibérante, doivent avoir des relations avec la théorie mathématique des chances. Un accusé qui ne connaît pas ses juges, qui ignore leurs dispositions favorables ou défavorables, qui n’est instruit ni du système de procédure suivie dans l’instruction ou dans les débats, ni de la manière dont les juges communiquent entre eux et recueillent leurs votes, ne regardera pas comme indifférent d’être jugé par un tribunal de trois juges qui condamne à la pluralité de deux voix, ou par un tribunal de six juges qui ne peut condamner qu’à la pluralité de quatre voix. Il y a a donc, dans le seul énoncé du nombre des votants et du chiffre de pluralité, des conditions arithmétiques, indépendantes des qualités et des dispositions personnelles des juges, conditions qui, par l’influence constante qu’elles exercent sur une série nombreuse de décisions, doivent prévaloir à la longue sur les circonstances variables de la composition du tribunal dans chaque affaire particulière. Il y a par conséquent une question purement arithmétique au fond de toute loi régulatrice des votes d’un tribunal : cette question est essentiellement du ressort de la théorie des chances ; mais aussi le calcul doit nécessairement emprunter certaines données à l’observation, c’est-à-dire à la statistique judiciaire, qui résume et coordonne des faits assez nombreux pour que les anomalies du hasard soient sans influence sensible sur les résultats moyens[1]. » Ces exemples et ces indications suffisent pour faire connaître la première des méthodes que M. Cournot applique à l’étude des sciences sociales. Cette méthode sans doute est insuffisante, puisque seule elle ne peut déterminer les causes des phénomènes ; mais elle atteint un certain ordre de causes et dans tous les cas elle permet d’obtenir des résultats pratiques d’une incontestable utilité. Au reste, nous

  1. Exposition de la théorie des chances et des probabilités, p. 351.