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charpentier. — philosophes contemporains

l’existence des sciences morales ? Pour constituer ces sciences, M. Cournot fait usage d’une double méthode l’une dont il a trouvé l’origine dans le calcul des probabilités, l’autre dans la théorie des fonctions.

Supposons une urne qui renferme 10 boules, 5 boules blanches et 5 boules noires ; tout le monde voit que la probabilité de tirer une boule blanche est égale à 5/10.

Supposons maintenant une autre urne qui renferme 10 boules dont la couleur est inconnue. Vous pouvez faire autant de tirages que vous voudrez ; mais, après avoir constaté la couleur de chaque boule tirée, vous êtes obligé de remettre la boule dans l’urne. On demande dans quelle proportion se trouvent les boules de chaque couleur. Si dans 10,000 ou dans 100,000 épreuves vous n’avez tiré que des boules blanches ou des boules noires, vous vous tiendrez pour certain que les 10 boules de l’urne sont blanches ou noires. Si vous groupez vos tirages successifs par séries de 10 ou de 20 ou de 50 ou de 100 ou de 1,000 et si vous constatez que, quelle que soit la méthode de groupement, chaque série renferme un nombre sensiblement égal de boules noires et de boules blanches, vous conclurez avec certitude ou du moins avec une certitude suffisante que l’urne renferme 5 boules blanches et 5 boules noires. Ce résultat est très remarquable. Le tirage de chaque boule est un fait déterminé par une combinaison de causes qui nous sont inconnues au moins, pour la plupart. Nous savons que la combinaison des causes varie à chaque tirage, mais nous savons à priori que dans un grand nombre d’épreuves la proportion des résultats doit être la même que la proportion des boules contenues dans l’urne. Cette loi s’applique rigoureusement aux faits qui ont pour cause ou pour une de leurs causes la libre volonté de l’homme. Nous serions tout à fait incapables d’indiquer toutes les causes d’un mariage, d’un suicide ou d’un assassinat ; mais nous savons que, dans une région déterminée, le nombre des mariages, des suicides ou des assassinats ne varie pas sensiblement d’une année à l’autre. Bien plus, s’il arrivait que dans une année les nombres en question devinssent notablement différents de ce qu’ils sont d’ordinaire, nous serions assurés de l’existence d’un fait nouveau ou d’une circonstance nouvelle capable d’expliquer la différence signalée.

Tout le monde connaît les applications infiniment variées que l’on fait de ces principes dans l’institution des assurances. M. Cournot y insiste avec raison. Mais il y a d’autres applications non moins remarquables qu’il importe de signaler. Supposons que l’examen d’une table de mortalité démontre qu’actuellement en France le nombre