Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/513

Cette page n’a pas encore été corrigée
509
charpentier. — philosophes contemporains

Nous sommes maintenant en mesure de faire connaître d’une façon précise l’idée que M. Cournot s’est faite de la philosophie. Tout d’abord, il convient de distinguer et de mettre pour ainsi dire à part certaines sciences rationnelles et même positives, qu’une longue habitude nous fait considérer fort mal à propos comme des parties essentielles de la philosophie. Telle est par exemple dans la logique la théorie du syllogisme, « qu’on peut rapprocher de celle des équations algébriques, » Le mot philosophie ne doit plus être une sorte de rubrique désignant un assemblage disparate de spéculations hétérogènes. Nous ne savons encore ce qu’est la philosophie ; mais, quelle qu’elle soit, elle doit avoir des caractères propres, qui lui donnent une véritable unité. Si elle n’a pas d’unité, il est rigoureusement vrai de dire qu’elle n’existe pas.

Nous arrivons au point essentiel de la difficulté. Quel est l’objet de la philosophie’? Dirons-nous que cet objet est Dieu, ou l’âme, ou encore le vrai, le beau et le bien ? Nullement. Ce sont là les objets de la religion, de l’art, de la poésie, de la morale, non de la philosophie. La philosophie n’a pas d’objet qui lui soit propre, la philosophie n’est pas une science. Qu’est-elle donc ? Elle est un élément indispensable de toute science. Elle n’est pas une science, et sans elle la science n’existerait pas.

Qu’est-ce en effet que la science pure, ou, si l’on veut, la science positive ? C’est une combinaison, une coordination d’éléments fournis soit par l’expérience, soit par l’intuition. Mais comment cette combinaison serait-elle possible sans un principe supérieur qui exprime la raison des choses, laquelle raison n’est rien que l’ensemble des rapports les plus simples et les plus généraux qui unissent ces mêmes choses entre elles ? « On ne peut, dit M. Cournot, exposer les éléments d’une science sans aborder ces notions premières par lesquelles elle se rattache au système général de la connaissance humaine, notions dont la critique est du domaine propre de la philosophie. Chaque auteur, selon la tournure de son esprit, s’arrête plus ou moins à cette critique préliminaire, bien que le corps de la science reste le même, dans quelque système philosophique que la critique ait eu lieu. Si la philosophie saisit pour ainsi dire les sciences à leur base, elle en domine aussi les sommités ; et, à mesure que les sciences positives font des progrès, l’esprit trouve de nouvelles occasions de revenir aux principes, à la raison, à la fin des choses ; et il est ainsi ramené sur le terrain de la spéculation philosophique[1]. »

  1. Essai sur les fond. de nos conn., p. 224.