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conduite dans la vie pratique. Nous jugeons sur des vraisemblances, et les vraisemblances ont pour nous une valeur d’autant plus grande qu’elles s’accordent mieux avec le système de nos opinions et de nos connaissances. Nous rencontrons ici encore une application de cette idée d’ordre, de ce principe d’ordre dont nous ne cessons de poursuivre les conséquences. Ainsi, pour M. Cournot, nous ne devons pas dans tous les cas chercher la certitude. Nous devons savoir nous contenter de la probabilité. Nous devons même ne pas toujours chercher la probabilité mathématique. Au reste, la probabilité philosophique, dont nous devons souvent nous contenter, n’est pas, comme on pourrait le croire, un pis aller. Elle peut arriver au point de remplacer pratiquement la certitude Faut-il conclure de tout ceci que M. Cournot soit une sorte de sceptique ou du moins de probabiliste ? Nullement. Nous le verrons bien plus tard. Pour le moment, nous devons considérer l’autre aspect du calcul des probabilités que nous avons indiqué plus haut Nous devons chercher quelle est pour M. Cournot la définition du hasard. Si nous voulions arriver trop vite à la philosophie proprem ent dite, nous risquerions de tout confondre et de tout obscurcir.

Le hasard est-il autre chose qu’un mot dont nous nous servons pour couvrir notre ignorance ? Pourquoi serait-on forcé d’avoir recours à l’hypothèse du hasard ? Tout phénomène a une cause. Quand on a déterminé la cause d’un phénomène, ce phénomène n’est-il pas aussi complètement expliqué qu’il peut l’être ? que veut-on chercher de plus ? Examinons la difficulté sur un exemple : César est mort quelques jours après une éclipse de soleil. Entre la mort de César et l’éclipsé de soleil, y a-t-il quelque lien ? Les anciens le croyaient ; nous ne le croyons plus. Soit : mais enfin pourquoi la coïncidence de ces deux phénomènes ? Chacun des deux phénomènes a sa cause qui l’explique parfaitement ; mais pourquoi ces deux causes ont-elles produit leurs effets précisément dans le même temps ? Cette rencontre même est un fait qui doit avoir sa cause ou du moins sa raison. Le plus simple après tout est peut-être d’en revenir à l’opinion des anciens et d’admettre que nos deux phénomènes appartiennent chacun à une série de causes et qu’en remontant assez loin dans le passé on trouverait que les deux séries ont un terme commun. On savait très bien, il y a trois cents ans, que le mouvement des marées est dans un certain rapport avec le mouvement de la lune, mais on pouvait croire qu’il y avait là une simple coïncidence de phénomènes ; on sait depuis la découverte de Newton que les deux phénomènes sont liés. Peut-être arrivera-t-on à découvrir que l’éclipsé de soleil n’est pas sans liaison avec la mort de