Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/477

Cette page n’a pas encore été corrigée
473
darmesteter. — les cosmogonies aryennes

le monde est un feu immortel qui s’allume suivant une loi et s’éteint suivant une loi[1], et la foudre est le gouvernail du monde[2].

§ 22. Il est une des idées de la Grèce et de l’Inde que l’Iran ne pouvait conserver ; que le monde naquit de la nuit, dans la forme nouvelle que la religion avait prise, il y avait là une impossibilité morale, un blasphème : la nuit pouvait bien enfanter le monde d’Ahriman, des ténèbres et du mal ; l’autre partie de la création ne pouvait sortir de ses entrailles. Cette conception, chassée du grand jour de la religion, laissa sa trace dans les sectes : les Zervanites croyaient que le ténébreux Ahriman naquit avant Ormazd il prit l’empire pour neuf mille ans ; ce temps écoulé, son lumineux rival régnera à jamais[3]. L’Iran ne sait plus que la Nuit est mère du jour, que Nyx a enfanté Hémera, mais il garde du moins un souvenir lointain et détourné de l’antériorité de la nuit : elle n’est plus la mère ; elle est du moins la sœur aînée.

Ainsi en fut-il en Grèce, chez les philosophes ; sans doute, dans Eschyle, ce n’est que par métaphore poétique que la Nuit est mère de l’Aurore[4] ; il y a plus dans Thalès, quand il enseigne que de la Nuit et du Jour c’est la Nuit qui fut la première[5].

§ 23. Le plus beau des immortels, Eros, Kâma, l’Amour, a perdu également l’empire cosmologique qu’il exerçait dans la période indo-européenne. Il n’en reste qu’une trace fugitive : le désir de Zervan d’avoir un fils qui puisse créer le ciel et la terre[6].

§ 24. La création par la lutte est le fond même du mazdéisme ; la lutte est la vie du monde du premier instant au dernier. Cette lutte a pris, il est vrai, un caractère abstrait et moral. Cependant, même sous l’exposé récent et systématique des récits parses, les contours primitifs du mythe naturaliste se dessinent avec clarté : la création a lieu après la défaite d’Ahriman : le dieu et le démon se

  1. Πῦρ ἀείζωον, ἁπτόμενον μέτρῳ, καὶ ἀποσβεννύμενον μέτρῳ..
  2. Τὰ δὲ πάντα οἰακίζει κεραυνός (dans Hippolyte, Hœres Refut. 282 : λέγει δὲ καὶ τοῦ κόσμου κρίσιν καὶ πάντων τῶν ἐν αὐτῷ διὰ πυρὸς γίνεσθαι, λέγων οὕτως· τὰ δὲ πάντα οἰακίζει κεραυνός, τοῦτ' ἐστὶ κατευθύνει· κεραυνὸν τὸ πῦρ λέγων τὸ αἰώνιον, fr. 31).
  3. À la suite de conventions qui rappellent celles de Kronos et d’Ophion dans Phérécyde (§ 17, note ; cf. Ormazd et Ahriman. p. 115, 308).
  4. ἕως γένοιτο μητρὸς εὐφρόνης παρά (Agamemnon, 263, éd. Didot).
  5. πρὸς τὸν πυθόμενον τί πρότερον ἐγεγόν, νύξ ἢ ἡμέρα, ἡ νύξ, ἔφη, μιᾷ ἡμέρᾳ πρότερον. (Diog. Laert.) — Servius ad Ecl. 3, 73. Constat prius noctem fuisse, post diem. — Dans l’Edda (Gylfaginning 10), le Jour (Dag) est fils de la Nuit (Nôtt) et d’un génie nommé Dellingr : nox ducere diem videtur (Tacite, Germania, 11).
  6. Voir § 36.