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Elle s’est élancée au sein des nuits profondes.
Mais une autre l’aimait elle-même ; et les mondes
Se sont mis en voyage autour du firmament[1].

§ 17. Nous avons vu Indra créer le monde en abattant le Serpent :

Ô Indra, quand tu as tué le Premier-né des Serpents,
alors, engendrant le Soleil, le Ciel, l’Aurore,
alors, certes, tu n’as plus trouvé d’ennemi[2].

Ces vers védiques résument l’épopée cosmologique de Phérécyde et son histoire du roi Serpent, Ophion, maître de l’Olympe au début des temps et précipité de là par Kronos[3]. Ces images, qui fournissent à la mythologie de la Grèce l’histoire des luttes initiales contre les Géants et les Titans[4], comme elles ont fourni à l’Inde celle des luttes initiales contre les Asuras, lèguent à sa philosophie cette formule que le monde est né de la lutte, qu’à l’origine est la guerre, la rivalité, la jalousie, Πόλεμος, Ἔρις, Νεῖκος. C’est la guerre, dit le poète d’Ephèse, qui est le père de toutes choses, le roi de toutes choses[5]. Empédocle ente là-dessus son dualisme de Νεῖκος et Φιλότης. De Maistre et Darwin auraient souscrit des deux mains à l’oracle d’Héraclite, et peut-être lui-même y voyait déjà vaguement quelque chose d’analogue aux conceptions modernes. Mais ici encore la pensée philosophique n’est qu’une déviation du mythe. Cette lutte qui crée la concorde n’est point dès l’abord la lutte métaphorique des éléments, leur rencontre hostile et féconde ; c’est la lutte qui a précédé l’apparition visible du monde et qui, en dissipant la nuée ténébreuse, a fait jaillir l’univers sous le resplendissement de la lumière. Un dis-

  1. C’est sur le même cri que Dante ferme sa Divine Comédie :
    L’Amor che muove’l sole e l’altre stelle.
  2. Voir § 5.
  3. Il décrivait leurs armées, leurs défis, leurs conventions, comment celui qui serait précipité dans Ogenos (l’Océan) céderait l’Olympe à son rival (Celse, dans Origène, VI, 42). Preller observe qu’Apollonius de Rhode semble suivre Phérécyde dans le chant qu’il prête à Orphée (I, 503) :

    Ἤειδεν δ' ὡς πρῶτος Ὀφίων Ἔυρυνόμη τε
    Ὠκεανὶς νιφόεντος ἔχον κράτος Οὐλύποιο,
    ὡς τε βίῃ καὶ χερσὶν ὁ μὲν Κρόνω εἴκαθε τιμῆς,
    ἡ δὲ Ρέῃ, ἔπεσεν δ' ἐνὶ κύμασιν Ὠκεανοῖο.

    Cette lutte est antérieure à l’organisation du monde, à en juger d’après l’ordre dans lequel Maxime de Tyr énumère les divers actes du drame cosmologique, dans Phérécyde : ἀλλὰ καὶ τοῦ Συρίου τὴν ποίησιν σκόπει, καὶ τὸν Ζῆνα καὶ τὴν χθονίην καὶ τὸν ἐν τούτοις Ἔρωτα καὶ τὴν Ὀφιονέως γένεσιν καὶ τὴν θεῶν μάχην καὶ τὸ δένδρον καὶ τὸν πέπλον (Dissert., X, ap. Preller, Pherecydes, dans le Rheinische Museum, 1844).

  4. La titanomachie n’est qu’un dédoublement de la gigantomachie, postérieur au développement de l’idée des dynasties et des rivalités divines.
  5. Πόλεμος πάντων μὲν πατήρ εστι, πάντων δὲ βασιλεύς (fr. 44 ; ap. Hippol. Refut. Haeres., IX, 9 ; Cf. Plut., Isis et Osiris, 48). On attribuait les mêmes principes à Linus ; mais tes fragments conservés sous ce nom sont apocryphes.