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darmesteter. — les cosmogonies aryennes

turaliste du symbole est oublié, si la Grèce ne sait plus que le dieu Amour n’est autre que le héros orageux et lumineux qu’elle célèbre ailleurs sous les noms d’Hercule et de Persée, que c’est le dieu conçu comme amant de la lumière qu’il délivre, du moins elle laisse encore voir jusque dans les formules des derniers mystiques que l’Eros grec, comme le Kâma indien, est le dieu Lumière, et sa nature vraie perce toujours, quoique inexpliquée. Écoutez les derniers des Orphiques : « J’ai chanté l’insondable loi du Chaos primordial, et Kronos, comment dans ses flancs infinis il enfanta l’Ether, et l’illustre Amour, à double forme, aux yeux de flamme, fils de la Nuit éternelle, que plus tard les hommes ont appelé Phanès, parce que le premier il apparut aux regards (ἐφάνθη)[1]. » Cet être aux yeux de flamme, qui sort de la nuit et le premier se rend visible, révèle sa nature lumineuse presque aussi clairement que dans le bel hymne cosmogonique jeté par Aristophane au milieu d’une de ses plus folles comédies :

« D’abord fut le Chaos, et la Nuit, et le noir Erèbe, et le vaste Tartare ; la terre n’était point, ni l’atmosphère, ni le ciel. Et au début, dans les flancs infinis de l’Erèbe, la Nuit enfanta un œuf sans germe[2], la Nuit aux ailes noires, et, les temps roulant, germa et sortit Amour le désirable, faisant briller sur ses épaules deux ailes d’or, rapide comme les tourbillons des vents[3]. »

§ 16 bis. L’identité de cet Eros avec le dieu brillant qui sort de la nuée éclate à chaque ligne. Mais le poète, emporté par le nom même du dieu et par les idées qu’il éveille, dévie dans l’abstraction et explique par l’action de l’Amour, conçu comme une force générale de la nature, toutes les choses qu’avaient faites Amour, être mythique et personnel : « Et, avant que l’Amour eût mêlé toutes choses, point n’était la race des immortels ; et les éléments se mêlant les uns aux autres, se produisit le Ciel, et l’Océan, et la Terre, et la race impéris-

  1. Ἀρχαίου μὲν πρῶτα χάους ἀτέκμαρτον ἀνάγκην,
    καὶ Κρόνον, ὧς ἐλόχευσεν ἀπειρεσίοις ὑπὸ κόλποις
    Αἰθέρα, καὶ διφυῆ, πυρσωπέα, κυδρὸν Ἔρωτα,
    Νυκτὸς ἀειγνήτης υἶα κλυτόν. ὅν ρἁ Φάνητα
    ὁπλότεροι κλῄζουσι βροτοί· πρῶτος γὰρ ἐφάνθη
    (Argon., 12 sq.)

  2. ὑπηνέμιον se dit des œufs vides ; que l’on croyait engendrés par le vent : ᾤα τὰ δίχα τοῦ ὀχευθῆναι γεννώμενα (Hesychius) ; quidam et vente putant ea generari ; qua de causa etiam zephyria appellantur (Pline, X, 60, 80). La cosmologie védique offre la même image (voir § 40).
  3. Χάος ἦν καὶ Νὺξ Ἐρεβός τε μέλαν πρῶτον καὶ Τάρταρος εὐρύς,
    Γῆ δ' οὐδ' ἀὴρ οὐδ' οὐρανὸς ἦν· Ἐρέβους δ' ἐν ἀπείροσι κόλποις
    τίκτει πρώτιστον ὑπηνέμιον Νύξ ἡ μελανόπτερος ὠὸν,
    ἐξ οὗ περιτελλομέναις ὥραις ἔβλαστεν Ἔρως ὁ ποθεινός,
    στίλβων νῶτον πτερύγοιν χρυσαῖν, εἶκὼς ἀνεμώκεσι δίναις
    (Les Oiseaux, 693).