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le monde, l’être divin et merveilleux, le dieu des orphiques, aux mille noms, Eros, Métis, Ericapéos, l’être lumineux, la lumière suprême, que les mortels appellent Phanès, parce que le premier il se laissa voir dans l’éther[1]. On reconnaît, sous cette forme tourmentée et savante, la même idée que dans les formules védiques qui montrent caché dans les eaux l’Embryon d’or qui doit créer le ciel et la terre.

Chez les Orphiques, cet être qui germe dans la nuit reste tantôt ce qu’il est de nature, l’être lumineux, Phanès ; tantôt, par voie de généralisation, il devient le dieu de vie universelle et de sève qui se réveille chaque année au printemps ou chaque matin à l’aurore, Ericapéos[2] ; ou, par une abstraction plus haute, Métis, la pensée, l’intelligence universelle. Enfin un autre de ses noms nous ramène à un autre symbole cosmologique que nous avons déjà rencontré dans le védisme, Eros, l’Amour.

§ 16. L’Amour, pour les Hellènes comme pour les Indous, est le premier-né des dieux : « D’abord fut le Chaos, dit Hésiode, puis la Terre au large sein, et l’Amour, le plus beau des immortels[3]. » Philosophes et poètes le répètent à travers les siècles, depuis l’auteur de la Théogonie jusqu’à celui des Argonautiques. Si le sens na-

  1. Ἔφρασε δὲ (ὁ Ὀρφεύς) ὅτι τὸ φῶς ρῆξαν τὸν αἰθέρα ἐφώτισε τὴν γαῖαν εἰπὼν ἐκεῖνο εἶναι τὸ φῶς τὸ ῥῆξαν τὸν αἰθέρα τὸν ὑπέρτατον πὰντων· οὗ ὄνομα Ὀρφεὺς ἀκούσας ἐκ τῆς μαντείας ἐξεῖπε, Μῆτιν, Φάνητα, Ἠρικαπαῖον, ὅπερ ἑρμηνέυεται βουλή, φῶς, ζωοδοτήρ (Cedrenus, ap. Lobeck, 479). Cf. Damascius, De prim. princ., et la citation des Argonautiques, § 16.
  2. Ἠρικαπαῖος défini ζωοδότηρ, est littéralement « celui qui souffle au matin (de ἠρι et κάπος ap. Hesychium). Gœttling (Opusc. Acad., 1869, p. 213) traduit vernalium ventorum afflatus. Mais ἠρι, qui signifie au printemps, signifie aussi au matin et il peut s’agir également de la brise matinale qui ramène la vie après la nuit. Voici un vers védique d’un hymne à l’aurore qui peut servir de commentaire au ζωοδότηρ de Cedrenus : « Levez-vous ! voici venue notre vie, notre souffle ; les ténèbres sont évanouies, la lumière vient ; elles ont laissé au soleil la voie où il va marcher ; nous sommes allés où la vie se prolonge. (R. V., I, 113, 16). Ainsi Hâfiz : « L’haleine du vent du matin répandra le musc autour de nous, et le vieux monde redeviendra jeune à nouveau. »
  3. Ἤτοι μὲν πρώτιστα Χάος γένετ', αὐτὰρ ἔπειτα
    Γαῖ' εὐρύστερνος…
    ἠδ' Ἔρος, ὅς κάλλιστος ἐν ἀθανάτοισι θεοῖσι
    (v. 116).

    De même Ibycus : « Ἴβυκος δὲ καὶ Ἡσίοδος ἐκ Χάους λέγει γενέσθαι τὸν Ἔρωτα (Schol. ad Apoll. Rhod., III, 26 ; Bergk, fr. 28) ; et Acousilaos (Damascius, De prim. princ., § 124). Même conception, en d’autres termes, dans le vers orphique qui met au début « la Nuit, que nous appellerons Cypris » :

    Νὺξ γένεσις πάντων, ἥν καὶ Κύπριν καλέσωμεν.

    De là, dans Cicéron, Amour, fils de l’Erèbe et enfant de la Nuit (De Nat. D., III, 17).