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darmesteter. — les cosmogonies aryennes

tout passe et rien ne demeure[1]. » Retournons le rapprochement : il y a en effet dans la formule homérique, non pas une philosophie, mais le germe d’une philosophie ; non la philosophie de l’écoulement, mais la philosophie des physiciens, celle de Thalès. Thalès, cherchant la matière première antérieure à toute autre et de laquelle toute autre serait faite, fait de l’eau le principe premier[2]. Aristote suppose[3] qu’il fut conduit là par cette remarque que la nourriture de tous les êtres est humide, que la chaleur vitale vient de l’humide et s’entretient par lui, et que les germes de toutes les choses sont humides[4]. « Beaucoup supposent, ajoute-t-il, que les anciens théologiens pensaient de même de la nature, faisant d’Océan et de Téthys les parents universels » [5]. C’est à ce souvenir que songeait sans doute Aristote quand il disait que « le faiseur de mythes est une sorte de philosophe (Ibid. I, 2) » mais ce n’est point Homère qui annonce Thalès, c’est Thalès qui répète Homère et ne le comprend plus ; le système nait du mythe par contre-sens. Thalès et ceux de son école font de l’eau le principe premier, parce que de vieilles formules traditionnelles faisaient d’Océan le père des choses, et, remplissant de leurs arguments naïfs le vide des formules dont le sens premier s’était évanoui, ils étayaient de raisonnements une croyance que des raisonnements n’auraient point créée.

Du développement de sa cosmogonie on ne connaît qu’un trait certain : « la terre repose sur les eaux, elle y nage comme le bois

  1. Ὅμηρος, εἰπὼν
    Ὀκεανόν τε θεῶν γένεσιν καὶ μητέρα Τηθύν,

    πάντα εἴρηκεν ἔκγονα ῥοῆς τε καὶ κινήσεως. (Cratyle, 402 B).

    Homère, dit Porphyre, est meilleur philosophe qu’Hésiode, quand il fait de l’Océan le principe premier, parce que de l’eau vient tout développement : elle est la vie de tout et est à la tête des quatre éléments ; c’est pourquoi Pindare l’appelle la meilleure des choses (Ὁμηρος δὲ φιλοσοφώτερον· τὸ γὰρ ὕδωρ πάντων ἡ ζωὴ καὶ προέἑι τῶν τεσσάρων στοιχείων, ὅθεν ὅθεν ὁ Πίνδαρος ἄριστον αὐτό φησιν ; ap. Schœmann, Opuscula Academica, II, 29).

  2. Θαλῆς μὲν ὕδωρ εἶναί φησιν (τοῦτο στοῖχεῖον καὶ ταύτην ἁρχήν… τῶν ὀντῶν (Métaph., I, 3).
  3. Λαβὼν ἰσως τὴν ὑπόληψιν (ibid.).
  4. Ἐκ τοῦ πάντων ὁρᾶν τὴν τροφὴν ὑγρὰν οὖσαν καὶ αὐτὸ τὸ θερμὸν ἐκ τούτου γιγνόμενον καὶ τούτῳ ζῶν… καὶ διὰ τὸ πάντων τὰ σπέρματα τὴν φύσιν ὑγρὰν ἔχειν (ibid.). Les successeurs d’Aristote donnent cette conjecture pour fait et y ajoutent leurs propres hypothèses Thalès a observé que les plantes se nourrissent d’eau, que ce qui meurt se dessèche, etc. (Zeller, Histoire de la philosophie grecque, tr. Boutroux, I, 202).
  5. Εἰσί δέ τινες οἱ καὶ τοὺς παμπαλαίους καὶ πολὺ πρὸ τῆς νῦν γενέσεως καὶ πρώτους θεολογήσαντας οὕτως οἴονται περὶ τῆς φύσεως ὑπολαβεῖν· Ὀκεανόν τε γὰρ καὶ Τηθὺν ἐποίησαν τῆς γενέσεως πατέρας (Arist., ibid.).