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§ 7. Mais ces eaux contiennent un germe, un germe d’or, la lumière l’Agni qui va en sortir et faire paraître l’Univers ; autrement dit, en style védique, les eaux contiennent l’Embryon d’or qui va donner naissance au monde :

Au début des choses se forma l’Embryon d’or[1],
qui, de naissance, fut le maitre unique de l’univers
c’est lui qui a fixé la terre et ce ciel là-bas.
Quand les eaux sublimes pénétraient tout l’univers,
contenant l’Embryon, enfantant Agni,
alors se leva le souffle qui anima les dieux[2].

La nuée ténébreuse qui contient cet, Embryon d’or est un œuf où le monde est en germe[3] ; en se brisant, il fera paraître le ciel et la terre : ciel et terre deviennent les deux parties de la coque. C’est à cette forme que s’est arrêtée la cosmologie classique de l’Inde, celle du brahmanisme, exposée au début des Lois de Manou :

« L’Univers était ténèbres, impossible à percevoir, à reconnaître, à discerner, à saisir et comme plongé dans l’universel sommeil.

« Alors Celui qui est par lui-même, le Bienheureux, Celui qui, échappant à la perception, rend perceptible ce monde fait d’éléments, le Tout-Puissant, se manifesta, repoussant les ténèbres.

« Il brilla de lui-même et, désirant émettre de son corps les diverses races de créatures, il émit d’abord les eaux et y déposa un germe.

« Ce germe devint un œuf d’or, resplendissant comme le soleil ; dans cet œuf, de lui-même naquit Brahma, le père universel.

« Dans cet œuf, le Bienheureux ayant une année habité, par la force de la pensée le brisa.

« Des deux parties de la coque il fit le ciel et la terre, et au milieu le firmament, les huit régions et le siège éternel des eaux[4]. »

Si l’on fait abstraction de la personne de Brahma, qui n’est là que parce qu’il doit y être par nécessité de système, étant devenu le principe suprême à l’époque où ces lignes ont été rédigées, on trouve comme éléments derniers de la cosmologie brahmanique les eaux ténébreuses où germe l’Embryon d’or et la lumière d’Agni cachée dans la nuée.

  1. Hiranya-garbhas.
  2. R. V.10, 121, 1-8.
  3. Déjà, dans le Rig, la lumière et les eaux sont enfermées dans la nuée comme dans un œuf qu’il faut briser ; Indra, en brisant les œufs de Çushna (un des noms du démon), conquiert les eaux lumineuses (R. V., 8, 40, 10-11). Il pousse les aurores hors de la montagne céleste en la brisant comme l’œuf d’un oiseau (10, 68, 7).
  4. Manou, I, 5 sq.