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nouir les ténèbres est plus qu’une délivrance : c’est une création. Quand Agni[1] reparaît, c’est le monde qui renaît :

L’univers était en poussière, anéanti dans la ténèbre :
le ciel a apparu, à la naissance d’Agni.
Je veux chanter Agni, l’invieillissable, le sublime,
qui, avec son rayon, a tendu la terre et ce ciel là-bas,
ces deux mondes[2] et l’atmosphère[3].

Quand Indra, le héros en titre de l’orage, enivré de Soma[4], a, la foudre en main, fait éclater sous les éclairs la caverne nuageuse où le démon, le dragon, le Serpent (Ahi)[5], enlace dans ses replis tortueux le trésor des eaux et de la lumière, quand il a fait couler à terre les flots des rivières d’en haut, le lait des vaches célestes délivrées, et que le rayon du soleil perce à nouveau, ce que salue le cri triomphal du poète, c’est moins une victoire qu’une renaissance, une création :

Dans l’ivresse de cette ambroisie, la foudre en main,
Indra a mis en pièces le Serpent qui enveloppait les eaux,
alors que vers lui, comme des oiseaux vers leur nid,
couraient les vœux des Rivières (prisonnières).
Lui, Indra, de sa force, a mis en mouvement le flot des eaux
vers l’Océan, en tuant le Serpent.
Il a créé le soleil, il a conquis les vaches (célestes)
par sa lumière, il a fixé la loi des jours[6].

On voit comme l’exploit banal du héros d’orage prend les couleurs d’un événement cosmogonique. Telle formule nous transporterait au début du monde si la formule voisine ne nous rappelait que ces créations sont d’hier, d’aujourd’hui, de demain. Chaque mythe d’orage contient en soi un mythe cosmogonique, et l’on pourrait s’attendre à voir le héros d’orage passer directement créateur :

Ô Indra, quand tu as tué le Premier-né des Serpents[7], quand tu as écrasé les malices du malin, alors, créant le Soleil, le Ciel, l’Aurore[8],
alors, certes, tu n’as plus trouvé d’ennemi[9]. »

  1. Ignis, le dieu du feu sous ses trois formes, feu terrestre, feu atmosphérique (éclair), feu céleste (soleil).
  2. Le ciel et la terre. Les Védas divisent l’univers, tantôt en deux mondes, ciel et terre, tantôt en trois mondes, ciel, atmosphère et terre.
  3. Rig Véda, 10, 88, 2-3.
  4. La liqueur énivrante dont le sacrifice le gorge ; cf. §.
  5. Voir M. Bréal, Mélanges de mythologie, 79 sq.
  6. Rig Véda, 2, 19, 2-3.
  7. C’est dejà l’Ὀφίων de Phérécyde ; voir § 17.
  8. At sûryam janayan dyâm ushâsam, tunc solem gignens, jovem, auroram.
  9. Rig Veda, 1, 32, 4.