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darmesteter. — les cosmogonies aryennes

circonstances : au sortir de l’hiver, de la nuit, de l’orage. Mais ces trois luttes diverses des ténèbres et de la nuit, de la vie et de la mort, n’ont pas été également fécondes pour la mythologie, ni par suite pour la cosmogonie. Les deux premières, régulières et périodiques, prêtaient à l’idée plus qu’à l’image, mouvements trop lents pour ébranler l’imagination et dont la succession régulière éveillait les idées de règle, de loi, d’ordre continu[1], non les images de la création, de la naissance initiale, du coup de théâtre cosmogonique. Le triomphe de l’hiver et de la nuit, même quand il parait comme un triomphe des puissances mauvaises, fait partie de l’ordre universel, puisqu’il se reproduit avec ordre ; il suppose et annonce un triomphe antérieur et un triomphe prochain du printemps et du jour ; il ne pouvait donner l’image du désordre primitif, non plus que sa lente et régulière extinction l’image du coup d’état créateur. L’orage fournissait l’une et l’autre image, et quand la nuée enveloppe l’univers, confond ciel et terre, les fait rentrer dans le néant indistinct, dans la rudis indigestaque moles, la lumière, qui soudain perce la nuée ténébreuse, fait reparaître, fait paraître le ciel et la terre.

§ 4. Il semblera tout d’abord qu’il n’y ait au fond de cette assimilation qu’un abus d’expression, un jeu de mots : car pour nous, modernes, cette naissance du monde aux origines est un fait réel, tandis que cette renaissance du monde au sortir des ténèbres n’est qu’une pure métaphore. Mais c’est que nous transportons ici nos idées de création ex nihilo, qui étaient absolument étrangères à la pensée des Aryens primitifs. Pour eux, le chaos qui a précédé la création ne diffère du chaos des ténèbres que par sa durée et en ce qu’il est au début ; le monde confondu dans la nuée d’orage est tel qu’il était avant l’établissement de l’ordre et le trouble de la nature est un retour au chaos ; le chaos a dû se dissiper au commencement des temps de la façon dont il se dissipe à présent, l’ordre s’établir de la façon dont il se rétablit, le monde naître aux bornes du passé de la façon dont il renaît sous nos yeux dans l’expérience du présent.

§ 5. Aussi, dans le monument le plus ancien des idées religieuses de l’Inde, le Rig Véda, l’apparition subite de la lumière qui fait éva-

  1. C’est cette succession régulière qui a conduit les Aryens à l’idée d’un Dieu suprême (Varuna, Ahura Mazda, Zeus, Jupiter ; voir notre Essai sur le Dieu suprême dans la Mythologie indo-européenne ; Contemporary Review, Oct. 1879 ; Revue des Religions, I, 305). Cf. § 40.