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tions d’origine. Arrivé aux cosmologies de la Grèce, j’essayerai de marquer au passage ce qu’elles ont laissé dans sa philosophie[1].

§ 2. Bien que la Grèce soit plus familière au lecteur, ce n’est pas elle que nous prendrons pour guide dans notre recherche, mais sa sœur de l’Inde. C’est le privilège de l’Inde d’avoir, dans ses systèmes comme dans sa langue, conservé avec une fidélité parfaite le sens des créations primitives ; tandis que le génie européen, plus libre et allant toujours de l’avant, les transformait sans trêve et, vivant tout entier dans son présent mobile, s’éloignait de jour en jour de ses origines, le génie indien, non moins actif, mais moins oublieux, tout en combinant à nouveau les formules antiques, en obscurcissait à peine la valeur première, et nul peuple n’a mieux gardé le sens du passé que ce peuple sans histoire. On sait la transparence de ses langues et de ses mythes qui seuls ont expliqué les langues et les mythes de l’Europe. C’est elle aussi qui laisse le mieux voir à nu par quel procédé sont nées les cosmologies aryennes.

Ces cosmologies se sont formées, non par voie de raisonnement, mais par voie d’analogie. Les mythes qui les constituent ne diffèrent pas essentiellement de ceux qui constituent le reste de la mythologie, mais en cela seulement, qu’au lieu de planer indifféremment sur toute l’étendue du temps, sur tout instant de la vie du monde, une place fixe leur a été assignée aux bornes du temps, au début des choses. C’est que, dans la conception aryenne, les questions que la cosmologie résout ne diffèrent pas essentiellement de celles que résout le reste de la mythologie : si celle-là dit comment le monde a commencé, celle-ci dit comment il commence. En effet, le fond de la mythologie aryenne porte sur la lutte permanente des ténèbres et de la lumière, des ténèbres qui sans cesse font rentrer le monde dans le néant, de la lumière qui sans cesse l’en fait ressortir. La question de l’origine était donc débattue et résolue dans vingt mythes, avant que la pensée cosmologique eût pris conscience d’elle-même : elle était résolue avant d’être posée. La mythologie contenait une cosmologie latente qui, pour se dégager, n’eut qu’à reporter aux origines les procédés de renaissance que les mythes montraient en action permanente dans le monde.

§ 3. Or, le monde renaît sous nos yeux de trois façons, dans trois

  1. Les historiens de la philosophie grecque n’ont, autant que je vois, signalé ce rapport que pour Thalès, ce que d’ailleurs Aristote avait fait avant eux ; voir § 13 bis.