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ANALYSESf. evellin.Infini et quantité.

règnent l’infini ou l’indéfini et comme les formes abstraites de la pensée, temps, espace, mouvement idéal, sont l’objet des mathématiques, c’est aux mathématiques et à elles seules qu’il faut réserver le terme infini : ni le physicien ni le métaphysicien ne doivent prononcer ce mot.

Comment l’infini peut-il qualifier la quantité mathématique ? Une quantité ne peut être objet de pensée que si elle est déterminée, enfermée dans des limites ; mais entre ces limites, entre les deux points qui déterminent la longueur d’un mètre par exemple, combien y a-t-il de parties intermédiaires ? — Un nombre infini, répond le mathématicien. — Un nombre fini, a répondu tout à l’heure M. Evellin, métaphysicien. La contradiction n’est qu’apparente, et on peut s’entendre. C’est dans le réel que le nombre des parties est fini. Mais nous ignorons quels sont les éléments que la nature répète un nombre n de fuis pour former la longueur d’un mètre. Ce nombre, déterminé en soi, est indéterminé, en d’autres termes infini pour nous. L’infini n’est en fin de compte que l’équivalent, le substitut, le prête-nom pour la pensée abstraite du fini réel et concret, insaisissable à la pensée : c’est notre manière de traduire dans notre pensée confuse l’absolu que la nature dérobe à nos yeux. Vu par nous, qui le voyons mal, le fini apparaît infini ou indéfini.

Mais, s’il en est ainsi, les mathématiques ne correspondent plus fidèlement à la réalité ; la métaphysique osera-t-elle les taxer d’imposture ? En aucune façon ; car, et c’est la merveille du génie humain, les mathématiques ont trouvé le moyen d’arriver au même but que la nature par un autre chemin, de la rejoindre sans l’avoir suivie, et de se mettre d’accord avec elle en procédant tout autrement qu’elle. Tantôt par la méthode des limites, avec Archimède, Cavalieri, Newton, tantôt par la méthode des quantités infinitésimales, avec Leibnitz, elles introduisent dans l’infini des déterminations qui le rendent finalement semblable à la réalité. « Le miracle de la science humaine, c’est d’avoir su adapter l’infini et le continu de la pensée au fini et au discontinu de la nature. » Nous ne pouvons que mentionner ici les pages de M. Evellin sur la valeur comparée des deux méthodes employées par les mathématiciens.

Par cette théorie, M. Evellin trouve moyen de résoudre les célèbres antinomies mathématiques de Kant. Le tort de ce philosophe est de n’avoir pas distingué l’abstrait et le concret, le point de vue du physicien et celui du mathématicien. Dans chacune des thèses, il parle en physicien ; dans chacune des antithèses, en mathématicien. It suffit de rétablir la différence des points de vue pour que la difficulté disparaisse, et, « loin de se blesser avec ses propres armes, la raison sort victorieuse du combat auquel l’a provoquée le grand critique. »

III. Après l’infini dans la nature et l’infini mathématique, il reste a envisager l’infini en philosophie.

C’est à propos de l’extension des concepts généraux qu’on voit d’abord apparaître l’idée de l’infini. — Un concept, celui d’homme par