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ANALYSESf. evellin.. — Infini et quantité.

diction ? Mais si notre raison peut ne pas se représenter tout ce qui est, ou si peut-être il y a bien des choses qu’elle conçoit et qui ne sont pas, il est du moins impossible que ce qui est contradictoire pour elle soit réalisé hors d’elle. Quelles règles, quelle logique, quelle science conserverons-nous, si l’on peut admettre la réalité de ce qui est contradictoire dans les termes ? La raison n’est pas la mesure des choses : elle est du moins sûre que l’absurde n’est pas.

Il reste donc que le nombre des éléments constituants de la matière, bien que prodigieux, sans doute, et, pour nous, incalculable, soit fini. De là résultent d’importantes conséquences. Les éléments, s’ils sont en nombre fini, ne peuvent être étendus ; car, étendus, ils seraient divisibles, et l’on retomberait dans les difficultés précédentes. L’imagination se refuse sans doute à se représenter l’atome inétendu ; mais la raison l’exige, et c’est la raison qu’il faut croire. — Mais comment l’étendue pourra-t-elle être formée d’éléments inétendus ? — Rien de plus simple, si, comme l’a cru Leibnitz, l’étendue n’est qu’un rapport.

D’ailleurs, c’est un des préjugés les plus dangereux de croire qu’une chose ne puisse être composée que de parties semblables à elle-même : l’eau est composée d’hydrogène et d’oxygène ; une armée ne se résout pas en armées, ni un bataillon en bataillons : le nombre a pour élément, ou pour limite, l’unité, qui n’est pas un nombre. — En outre, ces éléments inétendus sont des forces : car autrement comment expliquer l’impénétrabilité ? Et la force doit être considérée non comme l’attribut d’une substance, mais comme la substance même : c’était bien la pensée de Leibnitz ; c’est celle d’Ampère, de Faraday, de Tyndall.

Une démonstration analogue établit que le lieu, la durée, le mouvement, envisagés au point de vue objectif, sont formés aussi d’éléments en nombre fini. L’élément du lieu en soi est un point vide, indivisible et inétendu, décalque exact de ces éléments matériels, ou forces, qui l’occupent. Il faut, suivant M. Evellin, concevoir, en dépit de l’imagination qui s’y refuse, que ces éléments vides ne sont pas des abstractions, qu’ils sont contigus sans se confondre, qu’ils jouissent à l’égard les uns des autres, comme les éléments matériels auxquels ils sont attachés chacun à chacun, d’une impénétrabilité véritable. Par là se résout le célèbre sophisme de Zénon d’Elée, l’Achille. Le problème théoriquement insoluble dans l’hypothèse de la continuité et de l’infinité (quoi qu’en disent de soi-disant algébristes qui ne comprennent même pas la question) se résout en fait à chaque instant : c’est que dans le réel, le lieu étant discontinu, et les éléments sans étendue, il arrive un moment indéterminable pour nous, déterminé dans la nature, où la différence toujours décroissante entre Achille et la tortue n’est plus que d’un élément du lieu : c’est alors qu’ils se rejoignent.

De même, la durée en soi se résout en instants réels, sans durée, en nombre fini. Ainsi encore le mouvement en soi, dont l’existence est démontrée contre M. Herbert Spencer, est discontinu, c’est-à-dire coupé par des repos en nombre fini, correspondants aux éléments