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sujets, et il est revêtu d’un caractère sacré tellement auguste qu’il assiste invisible au conseil ; il est un souverain muet. Dans le Gondar, une des provinces d’Abyssinie, il faut que le roi appartienne à la maison royale de Salomon ; mais l’un quelconque des chefs turbulents qui a conquis la suprématie par les armes devient un ras, ou premier ministre ou monarque réel ; seulement il faut « un empereur en titre pour accomplir la cérémonie de l’institution d’un ras », puisque le nom au moins d’empereur « est jugé nécessaire pour valider le titre de ras ». On peut citer l’exemple du Thibet, où le caractère sacré du chef politique primitif se trouve séparé du droit fondé sur l’hérédité ; en effet, le Grand Lama, considéré comme « Dieu le Père » incarné chaque fois dans le nouveau souverain, ne tient pas la nature divine de la filiation naturelle, mais la reçoit d’une façon surnaturelle ; des signes de sa divinité le font reconnaître entre tous ; et, cette divinité impliquant le détachement des affaires temporelles, il ne possède aucun pouvoir politique. Un pareil état de choses existe au Boutan. « Le Dharma-Raja est pour le peuple de ce pays ce que le Grand Lama est au Thibet, à savoir une incarnation de la divinité, ou Bouddha lui-même sous une forme humaine. Durant le temps qui sépare sa mort de sa réapparition, ou, pour parler plus exactement, jusqu’à ce qu’il soit parvenu à un âge assez avancé pour monter au trône spirituel, un membre du clergé remplit par procuration l’office du Dharma-Raja. » En même temps que ce souverain sacré, il y en a un autre, le souverain temporel. Le Boutan « a deux chefs de nom, connus des Européens et des tribus des montagnes sous les noms hindoustanis de Dharma-Raja et de Délé-Raja… Le premier est le chef spirituel, le dernier est le chef temporel. Bien que dans ces pays le chef temporel ne passe pas pour avoir une grande influence (probablement à cause du prêtre-régent, qui, voué au célibat, ne peut fonder une race et s’oppose à ce que le chef temporel ne se saisisse du pouvoir absolu), l’existence d’un chef temporel suppose que les fonctions politiques tombent en partie des mains du chef politique primitif. Mais l’exemple le plus remarquable et en même temps le mieux connu est celui du Japon. Nous y voyons l’autorité héréditaire supplantée par l’autorité déléguée, non dans le gouvernement central seul, mais dans les gouvernements locaux. « Après le prince, et dans sa famille, venaient les karos ou anciens. Leur office était devenu héréditaire, et, comme les princes, ils tombèrent en bien des endroits dans l’impuissance. Les affaires du clan passèrent aux mains de quelque homme habile tiré des rangs inférieurs, qui, unissant la capacité à l’audace, et d’ailleurs sans scrupule, tint les princes et les karos hors de vue ; mais, s’entourant