Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/419

Cette page n’a pas encore été corrigée
415
herbert spencer. — les chefs politiques

En même temps que le développement des appareils de gouvernement accroît dans un sens le pouvoir souverain, en ce qu’il lui permet de traiter un plus grand nombre d’affaires, il diminue dans un autre sens sa puissance ; en effet son action subit de plus en plus l’influence des instruments par lesquels elle s’exerce. Ceux qui dirigent la marche d’une administration n’importe laquelle peuvent se convaincre que le chef d’une fonction régulative est à la fois aidé et embarrassé par les fonctions subalternes. Dans une association philanthropique, dans une société scientifique, ou un club, ceux qui gouvernent trouvent que le personnel qu’ils ont organisé, gêne souvent et très souvent aussi déjoue leurs projets. Cela est encore plus vrai des administrations de l’État. Le souverain reçoit ses informations par des délégués, c’est par des délégués qu’il fait exécuter ses ordres ; et à mesure que ses rapports avec les affaires deviennent indirects, l’autorité qu’il exerce sur elles diminue ; jusqu’à ce que, dans les cas extrêmes, il devienne un jouet dans la main de son premier délégué ou que celui-ci le détrône.

Si étrange que cela paraisse, les deux causes qui concourent à donner la permanence à l’autorité politique, concourent aussi à une époque plus avancée à réduire le chef politique à l’état d’automate qui exécute la volonté des agents qu’il a créés lui-même. En premier lieu la succession par hérédité, une fois fixée dans une ligne rigoureusement prescrite, suppose que la possession du pouvoir suprême devient indépendante de la capacité de l’exercer. L’héritier d’un trône vacant peut être et souvent se trouve trop jeune pour s’acquitter de sa fonction ; ou bien il peut être et il est souvent trop faible d’esprit, trop peu énergique ou trop absorbé par les plaisirs que sa position procure en abondance ; il en résulte que, dans le premier cas le régent, et dans l’autre, le premier ministre devient le vrai chef. En second lieu, le caractère sacré qu’il reçoit de son origine, qu’on croit venir des dieux, le rend inaccessible aux gouvernés. Il n’y a plus de rapport avec lui que par l’intermédiaire d’agents qui l’entourent. Par suite, il est difficile ou impossible qu’il apprenne plus qu’ils ne veulent lui en laisser savoir ; il en résulte l’incapacité d’adapter ses commandements aux circonstances, et l’incapacité de savoir si ses ordres ont été obéis. Son autorité ne sert qu’à faire réussir les desseins de ses agents.

Même dans une société aussi simple que celle des îles Tonga, nous en voyons la preuve. Il y a un chef sacré héréditaire, qui « était primitivement le chef unique, possédant le pouvoir temporel aussi bien que le spirituel, et censé issu des dieux, » mais qui est aujourd’hui sans pouvoir. En Abyssinie, nous voyons quelque chose d’analogue. Le monarque n’y entretient aucune communication directe avec ses