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tirées du passé et du présent, de nombreuses régions et de beaucoup de peuples, où l’on a pu voir les esprits objet d’un culte propitiatoire se transformer en dieux. Il nous reste à montrer comment cette genèse ne peut que fortifier l’autorité du chef politique.

L’idée qu’il descend d’un chef qui durant sa vie se distinguait par sa supériorité et dont l’esprit, particulièrement redouté, devient l’objet d’un culte tellement exceptionnel qu’il se distingue de tous les esprits ancêtres en général, cette idée exalte et soutient le chef vivant de deux façons. D’abord, on suppose qu’il hérite plus ou moins de son illustre ancêtre le caractère, aisément censé surnaturel, qui lui assura le pouvoir, et en second lieu il passe, à cause des sacrifices qu’il offre à cet ancêtre, pour entretenir avec lui des relations qui lui assurent l’assistance divine. Certains passages du récit de Canon Callawya sur les Amazoulous montrent l’influence de cette croyance. « L’Itongo (esprit ancêtre), dit-il, réside dans le grand homme et parle avec lui ; » puis il ajoute, en parlant d’un sorcier, que « les chefs de la maison d’Uzulu n’avaient pas coutume de permettre qu’on attribuât à un inférieur le pouvoir sur le ciel, car on disait que le ciel appartenait au chef de ce lieu. » Ces faits nous fournissent une explication précise d’autres faits, tels que les suivants, qui montrent que l’autorité du chef terrestre augmente par l’effet de cette prétendue relation avec le chef céleste, que ce chef céleste soit l’esprit du plus ancien ancêtre connu qui fonda la nation, ou celui d’un conquérant étranger, ou celui d’un étranger supérieur.

Les Koukis ont des chefs qui descendent d’aventuriers hindous. « Tous ces rajahs, lisons-nous, sont censés issus d’une même souche qui passe pour avoir été à l’origine rattachée aux dieux mêmes, leurs personnes sont à cause de cela considérées avec le plus grand respect et presque avec une vénération superstitieuse ; leurs ordres sont obéis en toute circonstance comme des lois. » Chez les Tahitiens, dit Ellis, « on supposait généralement que le dieu et le roi se partageaient l’autorité sur la masse des humains. Quelquefois le roi était la personnification du dieu… Dans quelques îles, on supposait que les rois descendaient des dieux. Leur personne était toujours sacrée. » D’après Mariner, « Toritonga et Veachi (chefs divins héréditaires de Tonga) passent l’un et l’autre pour les descendants des dieux qui visitèrent jadis les îles Tonga. » Dans l’ancien Pérou, « l’Inca fit comprendre à ses vassaux que tout ce qu’il faisait à leur égard, il le faisait par un ordre, une révélation de son père, le Soleil. »

L’appui que le pouvoir naturel trouve dans le pouvoir surnaturel est le plus fort lorsque le chef est à la fois le descendant des dieux et dieu lui-même : double attribut qui n’est pas rare chez des peuples