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herbert spencer. — les chefs politiques

acquiert comme chef politique. En troisième lieu, l’union ainsi nouée entre la suprématie militaire et la suprématie politique se conserve durant les phases subséquentes de l’évolution sociale. Ce n’est pas seulement chez les Hottentots, les Malgaches et autres que le chef ou roi marche à la tête de l’armée, ce n’est pas non plus seulement chez les peuples à demi civilisés, comme les anciens Péruviens et Mexicains, que l’on voit le monarque ne faire qu’un avec le général en chef ; l’histoire des peuples éteints et celle des nations existantes présentent partout des exemples de cette relation. En Égypte, « aux temps primitifs, le rôle de roi et celui de général étaient inséparables. » Les documents assyriens représentent le chef politique sous les traits du soldat vainqueur ; il en est de même des documents hébraïques. La suprématie civile et la suprématie militaire étaient unies chez les Grecs d’Homère ; dans la Rome primitive, « le général était d’ordinaire le roi lui-même. » Est-il besoin d’exemple pour rappeler qu’il en a été ainsi partout en Europe et qu’il en est encore ainsi chez les peuples les plus militaires ?

Comment une autorité d’un genre plus étendu découle-t-elle de l’autorité militaire ? On ne le voit pas aisément dans les sociétés qui n’ont pas d’histoire. Tout ce que nous pouvons c’est d’inférer qu’à mesure que le guerrier ou chef victorieux acquiert plus de puissance coercitive, une règle plus forte s’impose naturellement aux affaires civiles. Nous avons la preuve que les choses se sont passées ainsi chez les peuples historiques. D’après Sohn, les invasions romaines ont produit chez les Germains ce résultat que « la royauté s’est confondue avec le commandement (devenu permanent) de l’armée, et par suite s’est élevée au rang d’une institution de l’État. La subordination militaire sous le roi-chef favorisa le progrès de la subordination politique sous le roi… La royauté après les invasions est une royauté armée de droits souverains, une royauté au sens moderne. » Pareillement, d’après Ranke, durant les guerres contre les Anglais au xve siècle, la monarchie française, tout en combattant pour sa propre existence, acquérait du même coup, comme par l’effet de la lutte, une organisation plus solide. Les expédients auxquels on recourut pour soutenir la lutte devinrent, comme dans d’autres cas importants, des institutions nationales. La carrière de Napoléon et l’histoire récente de l’empire allemand nous offrent deux exemples modernes du rapport qui unit la guerre heureuse avec l’affermissement de l’autorité politique.

Donc l’institution du chef politique, née d’ordinaire de t’influence acquise par le guerrier le plus fort, le plus courageux, le plus rusé, s’établit lorsque la guerre donne à la supériorité de ce guerrier