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tance peut être accompagnée d’une alternance, c’est-à-dire de la succession plus ou moins souvent répétée de deux sensations presque toujours contrastantes, par exemple celles du clair et de l’obscur. Enfin cette persistance peut se manifester quelquefois après un intervalle de repos assez considérable. Elle produit alors une véritable hallucination. Parfois elle se manifeste à la suite d’un choc nerveux d’une nature différente. Une impression rétinienne peut reparaître par le frottement de l’œil, à la suite d’un éternument, d’un accès de toux. Quand l’arrière-sensation persistante acquiert un éclat égal à celui d’une sensation actuelle, elle n’est pas loin de pouvoir être taxée d’idée fixe, et elle confine à la folie. N’allons cependant pas oublier que, sans la persistance des sensations, il n’y aurait pas d’expérience possible, et que c’est grâce à elle que nous pouvons comparer et relier les impressions passées aux impressions présentes.

Ceci nous conduit à dire un mot de la double perception. La pensée précède l’action à la façon d’une suggestion venant d’autrui. Quand la pensée est vive, l’action est répétée. Mais dans certains états anormaux, cette suggestion est véritablement attribuée à une personne étrangère. Alors, par exemple, penser une phrase, c’est l’entendre prononcer par un autre. Pour Lewes, il y a là un simple fait d’hallucination, et il ne faut pas en chercher l’explication dans l’action séparée des deux hémisphères du cerveau. Il est dû à l’action du cerveau sur le ganglion sensoriel et de là sur la périphérie. C’est ainsi qu’un patient, à qui l’on disait de penser un nombre, le voyait écrit quelque part ou l’entendait murmurer à son oreille.

Adoptant l’opinion formulée déjà depuis longtemps par Glisson et Leibnitz, Lewes pense qu’un élément moteur est nécessairement associé à toute sensation. Stimulation et décharge sont les deux termes inséparables du procès nerveux. L’un d’eux peut dominer ; mais l’autre n’est jamais annihilé, bien qu’il nous semble que dans l’acte de voir ou d’entendre, par exemple, il n’y a pas de contraction musculaire, et bien que, quand nous nous remuons, nous ne fassions pas attention à la sensibilité cutanée mise enjeu. La sensibilité musculaire est due en partie à l’impression faite sur la peau et les nerfs sensitifs par la contraction des muscles, en partie à l’excitation du centre provoquée par le nerf moteur[1]. Remarquons ici que, si le mouvement musculaire n’était pas senti, il n’y aurait pas d’expérience ni de coordination de mouvements possibles. Il peut y avoir trouble

  1. M. James nie ce dernier point. The feeling of effort, Boston, 1880, traduit dans la Critique philosophique (1880).