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j. delbœuf. — le dernier livre de g. h. lewes

timbre ont certainement contribué à faire naître ou à fortifier dans l’esprit de Lewes sa théorie sur les unités de sensation dont le côté subjectif est beaucoup plus obscur que le côté objectif.

Ce qui suit est moins conjectural. Lewes, critiquant la définition de la sensation : la réaction d’un organe sensoriel, n’a pas de peine à démontrer que toute réaction sensorielle provient du sensorium, et, à ce titre, implique la révivescence du passé. Toute impression modifie d’une manière indélébile l’organisme, de sorte que l’impression suivante, fût-elle identique, appelle une réaction tant soit peu différente[1]. C’est ce que l’on peut établir principalement par l’analyse des sensations de couleur. Des expériences curieuses et saisissantes ont mis en évidence ce fait que la sensation du rouge, par exemple, peut être produite par n’importe quelle couleur ; d’où il résulte que l’excitation de la rétine n’est qu’une provocation du sensorium qui juge de la nature de la cause extérieure d’après d’autres sensations connexes. Il est donc impossible de séparer le procès physiologique du procès psychologique, d’assigner à chacun ses limites respectives, et de déterminer, comme quelques-uns ont cru pouvoir le faire, où l’un finit et où l’autre commence. Nous le savons amplement au reste, ces deux procès suivent une marche parallèle, ou mieux, ils forment une série à double face. La qualité de la sensation est telle parce qu’elle est imaginée, et elle est imaginée parce que les conditions normales sont censées présentes. La sensation n’est donc pas un procès dans un organe, et le jugement un procès dans un autre organe.

Ce qui met hors de doute la réaction totale de l’organisme lors d’une excitation quelconque, c’est le fait des doubles sensations. Lewes, par exemple, ressent du froid aux jambes à la vue d’un objet horrible. Des sensations de couleur sont, chez certains individus, provoquées par des sensations de son, etc. Ces faits montrent que chaque sensation est accompagnée d’une escorte de sensations parfois apparentes, mais le plus souvent obscures.

Outre ces sortes de sensations concomitantes, il y a aussi à considérer les arrière-sensations, c’est-à-dire celles qui se produisent quand le contact de l’agent a cessé. L’exemple le plus connu des arrière-sensations est fourni par la persistance des impressions lumineuses. C’est par là qu’on s’explique comment on peut comprendre seulement après avoir entendu, etc. On sait aussi que cette persis-

  1. Je rappelle à ce sujet que j’ai essayé d’expliquer ce fait par les théorèmes de Clausius sur la transformation des forces. Chaque transformation détruit sans retour une partie de la transformabilité disponible, c’est-à-dire que les forces passent incessamment de l’état transformable à l’état fixe (voir plus loin).