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A. FOUILLÉE. — critique de la morale kantienne

pas le droit de supposer qu’elle produit le contraire du son, le silence absolu, mais simplement l’absence de son perceptible pour vous, le silence relatif à vous, qui, selon toute probabilité, se changerai en un son pour d’autres oreilles.

On dira peut-être que, si la cause doit être conçue comme capable de produire ses effets, elle doit aussi être distinguée de ces effets mêmes, et que le nom de liberté a l’avantage de marquer cette distinction. — Encore faut-il que la distinction n’aille pas jusqu’à l’opposition, jusqu’à la contradiction. Sous ce prétexte que la cause doit être nommée autrement que les effets, quel nom donnerez-vous à une cause produisant des effets bons et bienfaisants’? L’appellerez-vous méchanceté pour mieux la distinguer de ce qu’elle produit ? Réciproquement, si un être me fait du mal, me persécute, me torture, appellerai-je la cause inconnue et nouménale de tous ces actes une bonté intelligible ? La liberté intelligible de Kant, le prétendu moi nouménal, n’est pas en une moindre contradiction avec ses propres effets, et la prédestination qu’elle enveloppe exclut le rôle moral que Kant lui attribue. Loin d’être un idéal de liberté individuelle, elle est plutôt l’idéal de l’universel destin.

2o Peut-on savoir si la liberté nouménale est réelle.

Il semble parfois, à lire certains textes ambigus, que Kant nous accorde je ne sais quelle conscience pure de la liberté intelligible, identique à la raison pure et à la volonté pure ; mais, si nous avions vraiment et certainement une telle conscience, notre liberté serait ce qu’il y a de plus certain, elle serait même certaine à priori ; or Kant, dans la Critique de la raison pure et même dans celle de la Raison pratique, ainsi que dans la Métaphysique des mœurs, nous répète sur tous les tons que la liberté est en elle-même incertaine, qu’elle est une pure idée dont nous ne pouvons saisir directement l’objectivité, et que la conscience pure est la conscience d’une simple forme, le sujet logique, je ou moi[1]. II en dit autant du monde intelligible tout entier : nous n’avons pas conscience des noumènes,

  1. « La liberté est une pure idée dont la réalité objective ne peut en aucune manière être prouvée d’après les lois de la nature, ni, par conséquent, nous être donnée dans aucune expérience possible, et qui, échappant à toute analogie et à tout exemple, ne peut par cela même ni être comprise (begriffen, ni même être saisie (eingesehen). Elle n’a d’autre valeur que celle d’une supposition nécessaire de la raison dans un être qui croit avoir conscience d’une volonté, c’est-à-dire d’une faculté bien différente de la simple faculté de désirer. » Mét. des mœurs, trad. Barni, 119.)