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A. FOUILLÉE. — critique de la morale kantienne

cette raison pure est pratique, conséquemment capable de fonder une morale. Pour cela il faut examiner : 1o l’objet ; 2o le sujet de la moralité ; 3o la loi morale qui établit entre les deux des rapports déterminés.


II


L’OBJET DE LA MORALITÉ


Kant a-t-il démontré l’identité de la moralité absolue avec la volonté pure et avec la raison pure ?

Les Fondements de la Métaphysique des mœurs, malgré leur importance, sont encore un ouvrage exotérique, surtout au commencement ; la Critique de la Raison pratique, au contraire, nous montrera Kant s’enfonçant de plus en plus dans les profondeurs de son formalisme, qui est sa doctrine vraie et conséquente.

Dès le début des pages si vantées de la Métaphysique des mœurs sur la bonne volonté, on remarque une apparente pétition de principe. La seule chose « bonne absolument et sans restriction[1] », nous dit Kant, et qui conséquemment est le véritable objet de la morale, c’est la bonne volonté. « Dans cette bonne volonté seule il faut chercher le bien suprême et absolu[2]. » Elle seule a une « valeur absolue » et fait la valeur absolue de l’homme. « L’essence des choses n’est point modifiée par leurs rapports extérieurs, et ce qui, indépendamment de ces rapports, constitue seul la valeur absolue de l’homme, est aussi la seule chose d’après laquelle il doit être jugé par tout être, même par l’Être suprême[3] » Par là, Kant semble prendre tout d’abord pour accordé ce qui est en question, l’existence d’un bien absolu, d’une chose bonne sans restriction et « à tous égards », qui ne peut « jamais devenir mauvaise » ni avoir un « mauvais usage ». Or la Critique de la raison pure nous a montré qu’on ne peut pénétrer l’essence de rien, qu’on ne peut savoir s’il existe réellement quelque chose d’absolu, par conséquent un bien absolu et sans restriction, objet de la moralité. Comment donc savoir s’il y a des biens assez bons pour l’être à tous égards et absolument ? Comment pénétrer dans l’ « essence » de l’homme et y découvrir sa « valeur absolue » ? Pour éviter une contradiction trop flagrante, nous devons prendre les assertions de Kant, malgré le ton affirmatif qu’il leur donne perpétuellement, en un sens purement hypothétique et conditionnel : — Au cas où il existerait un

  1. Trad. Barni, p. 25.
  2. Id., p. 25.
  3. P. 88.