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A. FOUILLÉE. — critique de la morale kantienne

cordé tout ce qui était en question, et ses disciples feront de même. cordé tout ce qui était en question, et ses disciples feront de même. Ce n’est plus un procès institué en vue de la vérité tout se termine en un noble panégyrique de la morale absolue et impérative ; ce n’est plus une critique, c’est une adoration.

2o Examinons maintenant une deuxième raison que Kant donne, en passant, pour expliquer comment il se dispense de critiquer en elle-même la raison pure pratique. « La raison pure, dit-il, quand une fois son existence est établie, n’a pas besoin de critique. Elle trouve en elle-même la règle de la critique de tout son usage[1]. » — La « raison pure », dit Kant, n’a pas besoin de critique ! Kant veut parler sans doute ici de la raison pure pratique, puisqu’il a lui-même critiqué à outrance la raison pure spéculative. Mais par quelle métamorphose, demanderons-nous de nouveau, la raison pure devient-elle donc tout d’un coup infaillible, dès qu’au lieu de vouloir expliquer elle se contente d’ordonner ? Suffit-il à un maître de commander sur un ton impératif et sans donner d’explication pour acquérir l’autorité qui lui manquait ? — Kant répond que la raison pure pratique « trouve en elle-même la règle de la critique de tout son usage » ; en d’autres termes, elle trouve le devoir, qui sert de règle pour critiquer tout l’usage qu’elle peut faire d’elle-même dans la pratique. — Mais, pour que le devoir n’ait lui-même besoin d’aucune critique, il faut que son objectivité soit démontrée, il faut qu’on ne puisse pas lui attribuer un caractère illusoire. Or, Kant nous a mis lui-même en garde contre « les apparences » de la raison pure ; comment ne concevrions-nous aucun doute sur la valeur et la puissance pratiques de cette même raison, si suspecte pour la science ?

Dira-t-on qu’il faut bien s’arrêter à quelque chose d’inébranlable qui soit au-dessus de la critique et que la raison ne peut se critiquer elle-même indéfiniment ? — Je réponds ; la seule chose que toute critique suppose admise, ce sont simplement les règles de la logique formelle d’une part, et d’autre part la valeur des faits d’expérience. Les règles de la logique sont, comme le dit Kant, les « conditions mêmes de l’exercice de la raison » ; mais elles n’en étendent pas la portée à des objets nouveaux, elles n’en augmentent pas « l’extension ; » or c’est précisément l’extension à des réalités qui est le point soumis à la critique ; qu’il s’agisse des réalités de la spéculation ou de celles de la pratique, il y a toujours lieu de se demander si la raison peut les atteindre et les atteint réellement, ou si elle demeure une règle toute subjective et si elle est sujette à des illusions inévitables. Rien n’empêche donc la raison de se critiquer elle-même, en ne

  1. Critique de la raison pratique. Introd. — Trad. Barni, p. 148.