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sivement à l’observation du monde physique et demander à elle seule la solution de tous les problèmes.

Parmi ces savants, remplis de défiance contre la métaphysique, beaucoup ont cru voir dans la théorie de Darwin la forme définitive d’une explication du monde purement scientifique, entièrement dégagée de toute préoccupation étrangère. Mais il est facile à M. Rosenthal de montrer la fausseté de cette opinion. Darwin a réédité, en leur donnant l’appui de ses observations, de ses expériences, d’antiques croyances restées longtemps confuses et sans preuves, et sa raison, une raison créatrice, lui a servi à s’élever au-dessus du chaos des unités bien plus que ses recherches expérimentales. En outre, n’admet-il pas, à l’origine du monde, un créateur qu’il admire en raison de la sage parcimonie des moyens employés, et cette explication dernière du développement ultérieur de toutes ces espèces d’êtres sorties d’une espèce unique, quelle est l’observation du monde réel qui aurait pu toute seule la lui donner ? Faut-il donc admettre la valeur des seuls résultats fournis par le scalpel ou le microscope ? Sans doute, le savant ne semble pas plus avancé aujourd’hui sur la question de la nature de la chose en soi que l’était, au temps de Descartes, le métaphysicien, son ancêtre ; est-ce une raison cependant pour affirmer la vanité des recherches du penseur et soutenir que ce qui est visible et mesurable existe seul ? L’esprit, notre propre conscience, ne serait qu’un produit d’éléments matériels très subtils et de forces très délicates, ou bien il faut dépasser, pour en trouver l’explication, le domaine du monde physique.

Si le savant répond que sa science est impuissante à dépasser ce domaine, que l’inexplicable, par le fait même, n’existe pas, et qu’il faut réellement écarter les pourquoi dont la solution est impossible à trouver, le penseur a le droit de lui opposer cette hypothèse originale supposons le cas où un être aussi élevé au-dessus de nous que nous le sommes au-dessus des choses inconscientes viendrait donner son avis sur la nature humaine et nos modes d’action. Il est trop éloigné de nous pour ressentir ce qui se passe en nous. S’il nous voyait alors nous mouvoir et parler, s’il percevait un certain effet produit sur d’autres hommes par nos paroles, il se résoudrait peut-être, après un minutieux examen, juger que les hommes font des mouvements parce qu’ils ont des membres appropriés à ces mouvements, font entendre des sons parce que des parties déterminées du corps sont exactement disposées de manière à les produire. Ces sons agissent sur d’autres êtres, parce qu’ils sont transmis au cerveau par l’oreille, grâce à l’ébranlement de l’air, suivant des lois reconnues. Les paroles elles-mêmes sont des corpuscules merveilleusement subtils qui, en raison des éléments réunis en eux et toujours en proportion de cette union, agissent sur les membres, et ceux-ci, par suite, se prêtent à des mouvements mathématiquement déterminés. Ce ne sont là que des actions corporelles ; il est inutile de faire aucune autre hypothèse pour l’ex-