Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 11.djvu/306

Cette page n’a pas encore été corrigée
302
revue philosophique

partons d’un état d’homogénéité absolue, comme si l’auteur des Premiers principes ne nous avait pas averti lui-même, et dans un important chapitre, qu’il est de l’essence de l’homogène d’aspirer à ne plus l’être. Tout ce qui est homogène est instable. Voici une masse d’eau ; imaginez-la parfaitement immobile, dans toute son étendue elle aura même densité. Il est plus exact de dire qu’elle l’aurait si elle ne subissait pas l’influence du milieu ambiant. Des corps voisins partent des rayons de chaleur et qui n’affectent point de la même manière toutes les parties de la masse liquide. Des variations de densité se produisent, et l’homogénéité n’est plus[1]. — Admettons qu’il en soit ainsi, et nous serons astreints supposer, à l’origine des choses, des forces susceptibles d’affecter la matière et de s’opposer à ce qu’elle reste homogène. Dès lors, il ne faut plus venir parler d’un état d’homogénéité primitive.

M. Spencer veut partir de l’homogène et ne le peut ; mais, s’il prend son point de départ dans un état où la matière a déjà subi l’action d’un principe différentiateur, on voudrait savoir quel est ce principe il y a là tout un chapitre de l’histoire du monde que M. Spencer a négligé d’écrire.

Là n’est point le seul ni le principal défaut du système. La formule de l’évolution, si elle suffit à rendre compte des phénomènes astronomiques, physico-chimiques, géologiques, ne réussit même pas à ébaucher une explication plausible des phénomènes vitaux. Et pourtant M. Guthrie ne saurait trop admirer avec, quelle adresse, on pourrait presque dire avec quelle habileté de main M. Spencer a escamoté le problème. Il a recours à une comparaison. Dans certains composés binaires, on produit un composé ternaire en substituant à l’un des équivalents du composé binaire, un équivalent de quelque autre corps. Par cette méthode arrivent à se former des agrégats de plus en plus complexes : des molécules hétérogènes d’un composé chimique engendrent par leur action réciproque une molécule supérieure en hétérogénéité. Il n’en va pas autrement dans le monde organique[2]. — Ici, la controverse devient plus vive, les coups frappent fort et portent loin. M. Spencer parle-t-il sérieusement ? espère-t-il, à l’aide d’une pure et simple substitution de mots, tromper la vigilance de l’adversaire ? Il parlait tout à l’heure des molécules complexes : il lui plait à un moment donné de les appeler organiques, comme s’il était suffisant pour métamorphoser les choses d’en altérer les noms ! Si complexe que soit une molécule, elle se comporte à l’égard d’une molécule simple comme les produits ou les sommes arithmétiques se comportent à l’égard de l’unité. Du simple au complexe, et du premier degré de complexité au degré maximum, la loi de formation est la même. On ne sort pas de l’inorganique, on ne sort pas de l’inconscient. Mais la vie implique la

  1. Pr. Pr., p. 430.
  2. Cf. Principes de biologie, appendice au premier volume, traduction française. Paris, G. Baillière. 1876.