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h. spencer. — des formes et des forces politiques.

précédent. » Chez les Javanais, écrit Raffles, « le seul frein qui s’impose à la volonté du chef du gouvernement est la coutume du pays, et le respect que ses sujets ont pour son caractère. » À Sumatra, le peuple « ne reconnaît pas aux chefs le droit d’instituer les lois qu’ils jugent à propos, ni d’abolir ou d’altérer les anciens usages, auxquels il tient avec une fidélité jalouse. » Ce qui montre à quel point est impérieuse l’obligation de se conformer aux croyances et aux sentiments des ancêtres, c’est le résultat fatal auquel on s’expose en s’en écartant. « Le roi des Achantis, bien qu’il passe pour un autocrate…, n’est pas absolument libre de tout contrôle. Il est soumis à l’obligation d’observer les coutumes nationales qui ont été transmises au peuple depuis la plus haute antiquité ; un infraction à cette obligation, par laquelle il avait tenté de changer quelques-unes des coutumes des ancêtres, a coûté à Osaï Quamina son trône. » Ce fait nous remet en mémoire que, chez les Hottentots de nos jours, comme dans le passé chez les Mexicains d’avant la conquête, et chez les peuples civilisés, les chefs s’engagaient en héritant du pouvoir, à ne rien changer à l’ordre établi.

Sans doute quand nous disons que le chef politique, simple ou composé, n’est en somme qu’un instrument par lequel agit la force du sentiment public, présent et passé, il semble que nous émettions une proposition en désaccord avec un grand nombre de faits où l’on voit jusqu’où peut aller la puissance d’un homme en possession du gouvernement. Sans parler de la facilité avec laquelle un tyran ôte la vie à ses semblables pour des motifs spécieux ou même sans motif, confisque leurs biens sans raison, transporte ses sujets d’un lieu dans un autre, leur extorque des contributions d’argent et de travail sans être retenu par aucun frein, l’aisance avec laquelle il commence et pousse une guerre où il sacrifie ses sujets en masse, nous montre assez que sa volonté toute seule peut dominer celle de toute la nation. De quelle manière faut-il donc modifier notre proposition primitive ?

Tout en soutenant que, dans les groupes humains inorganisés, le sentiment manifesté sous forme d’opinion publique régit la conduite politique de la même manière qu’il régit la conduite dans l’ordre cérémoniel et religieux, et en affirmant aussi que les appareils de gouvernement, durant les premières époques de leur développement, sont les produits du sentiment commun, en même temps qu’ils en tirent leur force et qu’ils y trouvent des freins, il faut admettre que ces relations primitives se compliquent, lorsque par l’effet de la guerre de petits groupes se fondent par composition et recomposition en des groupes considérables. Lorsque la société se compose