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Ch. secrétan. — religion, philosophie et science.

qu’il la pose et que vous l’entendez. Qu’il n’y ait point de pourquoi, j’admettrai pour un instant que la chose est possible ; mais l’exposition du comment, quel qu’il soit, ne suffira jamais à l’établir. C’est l’illusion habituelle des esprits sans culture, de certains savants qui spéculent et de quelques philosophes de profession qui prennent leur consigne chez les savants, de confondre comment et pourquoi, ou de s’imaginer qu’une réponse à la question du comment les dispense de se poser celle du pourquoi. C’est en vertu de cette confusion, par exemple, que les théistes et leurs adversaires acceptent comme un champ de dispute l’alternative de la création ou de l’évolution, sans s’apercevoir que l’évolution est une manière de représenter l’apparition des phénomènes, tandis que la création est une manière de concevoir l’action de la cause, laquelle de sa nature ne saurait jamais apparaître, de sorte qu’après avoir admis l’hypothèse de la création il reste à en demander le mode, qui peut fort bien être l’évolution, tout comme, en supposant l’évolution constatée ou probable, on est forcé d’en rechercher la cause, qui peut fort bien être une création.

Les jugements et les systèmes philosophiques ayant pour objet la cause et la fin, ne sont pas vérifiables par l’expérience ; ils ne sont pas démontrables, ils ne sauraient être prouvés, ils ne sauraient se convertir en propositions scientifiques. Réciproquement, la science n’est point apte à les remplacer et n’y prétend qu’en sortant de sa sphère légitime. La philosophie ne se prouve pas, elle s’expose. Elle atteint son but, lorsqu’il lui réussit de faire entrer sans déformation F ensemble des vérités scientifiques dans une conception totale agréable à la raison, parce qu’elle y trouve la réponse à ses vœux, la réalisation de sa nature. S’accorder avec la totalité des faits prouvés, former un tout conséquent en soi-même, répondre aux questions inévitables sur notre essence, sur notre origine, sur notre destinée et sur la règle de notre activité, conformément aux besoins de la pensée et du cœur, telles sont les conditions auxquelles doit satisfaire une philosophie pour donner une ferme assiette et une juste direction aux esprits qui l’adoptent, et pour mériter ainsi d’être comptée. La philosophie est optimiste a priori, par son essence même et par sa fonction, puisqu’il s’agit pour elle de trouver une explication du monde phénoménal qui lui permette d’affirmer la réalité du principe qui l’inspire, la réalité de la raison, la réalité du bien. Le pessimisme de Schopenhauer[1] et de Hartmann nous offre un exemple entre mille de la confusion entre l’objet de la science et celui de la métaphysique.

  1. Qui a trop mal parlé de Schelling pour ne pas être son débiteur, et par conséquent celui de Baader et de Bœhm.