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croire qu’il y a au fond de tout homme un écho pour tout ce qui est humain. Mais, pour réussir, il faudrait observer comme si la chose en valait la peine. La méthode empirique ne tolère ni parti pris ni dédain contre les faits, et la science n’a point de haine. En cherchant avec quelque attention, peut-être avec quelque patience, chacun finirait par rencontrer de vivants exemplaires qui répondraient suffisamment à l’idée d’un homme religieux ou, si l’on peut risquer le mot, de la piété. Dans nos villes populeuses, on y parviendra, en suivant les traces de leurs bienfaits. Il ne suffirait pas d’observer une activité extérieure, qui comporte des explications diverses, ni d’analyser un langage dépourvu peut-être d’originalité ; il faudrait étudier l’homme religieux d’assez près pour constater quels sont les mobiles de sa conduite et ce qui occupe habituellement son esprit. Toute notre information n’a pas d’autre source. Les documents écrits n’ont pas une puissance de conviction égale au contact immédiat de la vie ; néanmoins, en les analysant sans parti pris, même avec quelque sympathie, comme le faisait Sainte-Beuve, par exemple, de 1830 à 1836, on arriverait à se faire une idée de ce qu’étaient une sainte Térèse, un Vincent de Paule, un Pascal, un Fénelon, un Francke, un Zinzendorf, un Westey, un Luther. Pour définir la religion, il n’v a certainement pas de méthode qui dispense d’observer et de comparer les sujets vraiment religieux.

Et la chose, après tout, en vaut bien la peine. Quels que soient nos appréciations personnelles, nos préférences, nos augures, nous ne parviendrons pas à diminuer sensiblement la place que la religion tient dans l’histoire. Quels savants, quels politiques, quels capitaines ont exercé sur la suite des événements une influence comparable à celle de Paul de Tarse ou de Martin Luther ? On n’y met rien du sien, on laisse la porte ouverte à toutes les explications, on s’en tient au fait apparent, matériel, on reste volontairement dans le plus commun des lieux communs lorsqu’on dit qu’il n’y a pas de noms dans l’histoire aussi grands que ceux de Jésus et de Mahomet, aussi grands de fait, c’est-à-dire aussi éclatants, aussi retentissants, aussi souvent répétés. Et si l’on parcourt du regard la surface de notre petit globe, si l’on voit quels sont les peuples dominants dans l’histoire contemporaine et quelle place occupe la religion dans ces peuples, on s’avouera que Jésus, qui n’a pas écrit, qui n’a pas commandé de troupes, l’emporte encore sur Mahomet. Que Jésus soit l’incarnation de Pieu le Fils, comme veut l’Église, qu’il soit un. scélérat, ainsi que le fait entendre Auguste Comte, l’homme tel qu’il doit être d’après la définition de M. Naville, un fou, comme le déclare M. Soury, un spirituel jeune homme, ami des loisirs et des