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Ch. secrétan. — religion, philosophie et science.

a tenté lui-même de répondre aux aspirations de la morale indépendante, les doctrines du salut gratuit et du pur amour n’ont pas d’autres fins ; mais il est permis de se demander si la séparation artificielle des éléments constitutifs de l’être moral ne tend pas l’affaiblissement des uns et des autres. Kant lui-même, si jaloux de la pureté du motif de nos actions, Kant, libre de toute affectation malgré sa pédanterie, der ehrliche Kunt, dont la profondeur se confond avec sa probité, reconnaît hautement que la justice poétique est la réclamation de la conscience. Mais la morale peut être absolument désintéressée, sans se séparer de la religion. Aimer un objet, est le tenir pour aimable, et qu est-ce qu’il y a d’aimable dans les êtres qui réclament le plus impérieusement les soins de la charité, dans les idiots, dans les malfaiteurs, dans les misérables, si l’on ne remonte pas à l’idée d’une identité foncière, d’une commune origine, d’un père commun ? L’arbre qui déploie le plus largement ses branches, qui mûrit le mieux ses fruits et qui résiste au plus violent orage est celui qui fait descendre le plus bas ses racines. Vouloir son principe, se vouloir, s’établir dans son principe est pour l’être particulier, dérivé, une condition d’existence. L’intensité de ce vouloir donne la mesure de l’être lui-même. La religion ne caractérise pas plus une phase de notre développement qu’elle n’est l’expression d’une faculté particulière ; elle nous comprend tout entier. C’est une flamme dont le prisme de l’analyse décompose les rayons rayons calorifiques, la charité, — rayons lumineux, la poésie, l’art, la curiosité spéculative — rayons chimiques, féconds en combinaisons suaves, infectes, salutaires, foudroyantes. Source commune des grands biens et des grands maux, la religion n’est-elle pas la vie de la vie, et ne pensez-vous pas que, si l’on pouvait en achever l’évaporation, cette humanité, se desséchant dans la platitude inexprimable, céderait bientôt la place à des formes nouvelles ? L’ancêtre de la religion dite naturelle, lord Herbert de Cherbury fait procéder toute l’activite humaine de l’instinct de conservation ; mais suivant lui, la raison enseigne à l’individu qu’il ne saurait se conserver qu’en se rattachant à la source de son être. Les penseurs qui estiment pouvoir mettre le néant au point de départ d’une évolution n’admettront pas de nécessité pareille ; mais, accidentel ou nécessaire (et, pour la plupart d’entre eux tout est nécessaire), ils restent devant le fait de la religion, qu’on éliminera peut-être en s’expliquant, mais qu’il faut expliquer, qu’il faut d’abord constater, qu’il faut embrasser dans son ensemble et dépeindre fidèlement.