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j. delbœuf. — le dernier livre de g. h. lewes

l’autre ne créent ni le mouvement ni la matière. Tous les mécanismes, les plus simples comme tes plus compliqués, se bornent à incorporer, à fixer du mouvement dans une matière. Le métier Jacquart n’a d’autre office que de faire entrer dans l’arrangement des fils qu’on lui remet, l’impulsion que lui communique le tisseur.

Les organismes sont des espèces de mécanismes, je n’en disconviens pas ; mais, de leur côté, ils ne créent ni l’intelligence, ni la mémoire, ni la liberté. L’intelligence, la mémoire et la liberté ne sont pas des produits manufacturés ; elles constituent au contraire la matière du travail ; elles s’incorporent et se fixent dans les actions, dans les habitudes et dans les instincts. Une action, une habitude, un instinct, c’est de la liberté transformée par l’intelligence et la mémoire en immobilité ou en nécessité. L’intelligence, la mémoire, la liberté ne sont donc pas des fleurs qui ne s’épanouiraient que chez l’homme. Le croire, c’est confondre la cause avec l’effet, la matière première avec l’ouvrage achevé. Et sous quelle forme palpable et tangible se retrouvent les actes, les habitudes, les instincts ? Ils se retrouvent dans l’organisme, dans le mécanisme lui-même, sous la forme d’un autre arrangement de ses parties, arrangement plus ou moins avantageux, de produits nouveaux plus ou moins utiles. L’organisme, en tant source que mécanisme, est donc sa propre œuvre. Pour parler d’une manière plus précise, sa modification actuelle, perfectionnement ou détérioration, est le produit d’actes de volonté et d’intelligence passés. Au demeurant, tout mécanisme n’est-il pas l’œuvre de l’intelligence ? Quand l’homme traverse les mers sur des vaisseaux qui s’emparent du vent ou dans lesquels il a emprisonné la vapeur, ne fait-il pas en grand ce que la frigane fait en petit, elle qui, dans le lit des ruisseaux, se fabrique, au moyen de grains de sable, de coquilles vides ou pleines, de fragments de végétaux, un esquif dont. elle est à la fois le capitaine et le passager ? À l’instar de l’homme, elle se construit avec son intelligence une machine à son usage.

Intelligence, raison, conscience, mémoire, volonté, liberté, ce sont là toutes facultés appartenant essentiellement aux animaux. Les divers organismes sensibles ne sont pas des composés différents, et, par conséquent, leurs propriétés ne sont pas différentes ; un organisme supérieur n’est pas d’une autre nature qu’un organisme inférieur. En pareille matière, les comparaisons et les métaphores tirées de la chimie, bien loin de guider l’esprit, ne servent qu’à l’égarer.

Un organisme est, en général, une association, une agrégation d’organismes ; mais l’agrégation peut être plus ou moins complexe, l’association plus ou moins savante, l’atelier plus ou moins nombreux, la division du travail poussée plus ou moins loin. Naguère,