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ANALYSESmarty. — Die Entwickelung des Farbensinnes.

relles. Ici encore, tes objections se pressent sous la plume. D’abord, si l’on considère les faits de daltonisme comme des phénomènes ataviques, on ne doit pas oublier que la cécité la plus fréquente est celle du rouge[1] ; celle du bleu est infiniment plus rare ; or la théorie de Geiger et de Magnus exigerait précisément le contraire, puisque, d’après eux, l’acquisition de la perception du rouge est antérieure, la première en date. Vainement essayerait-on de modifier la théorie de telle sorte que l’œil ait commencé par percevoir les rayons de la partie moyenne du spectre, puis se soit développé dans les deux sens : on serait alors conduit à admettre qu’à un moment donné l’œil a distingué le jaune sans le bleu, ou le vert sans le rouge ; or les travaux récents ont mis hors de doute que la cécité daltonique s’étend toujours à un couple de couleurs « antagonistiques » ou complémentaires. Les évolutionnistes ne pourront donc se mettre d’accord avec la science qu’en supposant que la première perception acquise a été celle du couple bleu-jaune, et que plus tard s’est ajoutée celle du couple rouge-vert ; mais cette modification de l’hypothèse primitive entraîne l’écroulement de tout l’échafaudage archéologique sur lequel elle a été élevée.

Mieux vaut donc reconnaître franchement que l’on a fait fausse route et que l’hypothèse du développement du sens des couleurs chez l’homme, à une époque relativement récente, doit être reléguée parmi les hérésies scientifiques. Tout concourt à la faire rejeter : le moment où on place cette évolution — car le sens des couleurs, particulièrement utile aux peuples sauvages, n’a guère pu se développer brusquement chez une race plus qu’à demi civilisée ; la durée qu’on lui attribue — car un des principes du transformisme, c’est l’extrême lenteur avec laquelle s’opèrent les modifications organiques même les moins considérables ; la cause d’où on la dérive car l’usage prolongé d’un organe peut bien affiner les facultés qu’il possède déjà, mais non lui faire acquérir des facultés nouvelles, spécifiquement distinctes des premières. Enfin, et cette considération est décisive, quand les transformistes admettent qu’une certaine qualité, appartenant à une espèce, y a fait son apparition à un moment donné, c’est que cette qualité n’existe pas, ou n’est qu’imparfaitement développée, chez les variétés les plus dégradées de l’espèce ou chez les espèces immédiatement inférieures. Or rien de pareil ici : au contraire, nous savons, par les témoignages les plus dignes de foi, que les sauvages les plus brutaux, les habitants de la Terre de Feu entre autres, l’emportent notablement sur les peuples civilisés par l’acuité de la vision ce qui implique non seulement une perception plus fine des différences de lumière, mais encore une appréciation au moins aussi exacte que la nôtre des différences de nuances. Quant aux animaux, à l’exception de ceux chez qui les condi-

  1. Ajoutez que les parties périphériques de la rétine, qui présentent une diminution générale de la sensibilité chromatique, sont particulièrement insensibles au rouge et au vert.