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long travail intérieur et les embrasse dans une dernière unité synthétique. Toutes les consciences retentissent ainsi confusément dans la conscience dominante, mais toutes aussi peuvent agir séparément et vivre d’une vie propre, car chacune a dans l’ensemble des fonctions spéciales. La conscience du moi n’est qu’un point lumineux dans la vie de l’esprit ; mais, pour en avoir une entière connaissance, il faudrait tenir compte de cette infinité d’éléments psychiques diversement groupés en nous, auxquels depuis des siècles les générations successives ont apporté leur part. »

La thèse de M. Colsenet, très neuve et hardie, comme on le voit par l’analyse qui précède, s’appuie sur un grand nombre de faits qui, nous n’en doutons pas, sont puisés à bonne source. Il y a lieu de se demander seulement si la théorie qu’on propose pour les expliquer est suffisamment justifiée. Est-ce nécessairement à l’inconscient, plutôt qu’à toute autre hypothèse, qu’il faut recourir pour rendre compte des faits que l’expérience atteste ? En second lieu, est-ce vraiment expliquer les faits que de les faire dépendre de l’inconscient ? et cette hypothèse est-elle satisfaisante et même intelligible ? Voilà, ce semble, les deux questions principales qu’on doit se poser, si l’on veut juger l’œuvre de M. Colsenet.

Sur le premier point, le livre nous parait laisser à désirer. Il faut bien en convenir l’hypothèse de l’inconscient n’est pas de celles qui s’imposent d’elles-mêmes à l’esprit. On a quelque peine à la concevoir ; elle n’a rien qui puisse séduire notre imagination ou tenter notre raison. Si donc on veut nous la faire admettre, on doit nous prouver qu’elle est indispensable ; il faut nous y conduire de force, car nous n’irons pas de nous-mêmes, et bien nous convaincre que toutes les autres issues nous sont fermées. Dès lors, ce n’eût pas été trop de consacrer à cette discussion un chapitre spécial, d’y verser une abondante lumière, d’y mettre en tout leur relief les raisons qui conduisent invinciblement à la conclusion. Ce chapitre, nous ne le trouvons pas. Il est un point surtout qui devait être sérieusement examiné. Plusieurs des faits cités par M. Colsenet s’expliquent, au dire de quelques philosophes, d’une manière toute mécanique, par de simples actions réflexes ; la conscience intercalée entre l’action venue du dehors et la réaction venue du dedans est, suivant l’expression d’un contemporain, « un luxe ». Si cette explication est insuffisante, il valait la peine de le prouver, et d’une manière qui ne laissât aucun doute dans l’esprit du lecteur. À vrai dire, M. Colsenet ne pouvait manquer de rencontrer et de discuter cette question ; il l’a discutée ; mais son argumentation s’est dispersée en une multitude de passages divers, suivant que les faits cités par lui semblaient l’exiger ; et, par là, elle perd singulièrement de sa force. Sans doute, l’auteur a craint de se répéter, s’il reprenait pour elle-même une discussion qu’il avait cru devoir poursuivre en détail. Il n’en reste pas moins vrai qu’il s’est fait tort à lui-même ; et, à tout prendre, quelques redites eussent été préférables à cette discussion fragmentaire, qui,