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du sentiment est variable elle nous pousse tantôt à agir, tantôt à nous abstenir ; la tendance au contraire a pour résultat un acte parfaitement déterminé, et toujours le même.

Il est aisé de prouver que les tendances ne tombent pas directement sous l’observation de la conscience ; nous ne les connaissons que par leurs effets ; l’induction seule les découvre. Mais que sont-elles ? Dire que ce sont des forces, c’est se payer de mots. Si l’on entend par force une substance, comment comprendre qu’une substance agisse sur une substance, ou une substance sur un fait ? Et si l’on entend autre chose, par exemple, comme dans la science, le symbole d’une possibilité de mouvements, on oublie que cette expression a été précisément empruntée au monde intérieur, puis transportée au monde extérieur. Ces réponses écartées, M. Colsenet établit que la tendance n’est autre chose qu’une idée inconsciente. « La tendance n’est pas une mystérieuse puissance d’agir : c’est un phénomène, le premier d’une série, inconscient à l’état ordinaire. Quelque chose d’analogue se passe dans le monde extérieur, où tout phénomène observable se ramène à un mouvement. Les tendances ne sont sans doute que des mouvements inaperçus qui ne se communiquent pas encore d’une manière sensible pour nous. Le germe de la plante, tant qu’il reste vivant, est doué d’un mouvement latent ; ce mouvement se communiquera plus tard aux éléments environnants, quand les circonstances seront propices, les entraînera dans la circulation de la plante naissante, et déterminera ainsi l’absorption des matières nutritives et l’accroissement du végétal. C’est ainsi qu’un grain de blé extrait d’un sarcophage égyptien a pu après trois mille ans tirer du sol les éléments qui lui convenaient et en former une plante vivante… De même, dans la vie psychique, ce sont encore des phénomènes qui demeurent inconscients, et des phénomènes de nature analogue à ceux de la conscience. On pourrait dire que la tendance acquise est un souvenir, le souvenir d’une idée ou d’une représentation qui autrefois a déterminé certains actes, et dans des conditions favorables les déterminerait encore. »

Pour justifier cette théorie, M. Colsenet examine successivement l’habitude, l’instinct et la mémoire. Si un musicien exercé peut accomplir, sans que l’esprit y prenne part, une longue série de mouvements, il y a autre chose qu’une association de mouvements répétés automatiquement : car, si l’association seule présidait à ces mouvements, comme chacun d’eux dans le passé a été associé à mille mouvements divers, il n’y aurait pas de raison pour qu’à chaque instant ce fût précisément le mouvement qui convient au morceau que l’on joue qui vînt se placer à côté de son antécédent. Si chaque mouvement est à sa place, c’est que la série des représentations antérieures, fixée par la volonté, demeure la même dans son ensemble. Au surplus, la première fois que ces mouvements se sont produits volontairement, ils étaient déterminés par leur représentation : pourquoi cette représentation ne subsisterait-elle pas à quelque degré, alors que les effets persistent ?