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ANALYSEScolsenet. — La vie inconsciente de l’esprit.

conscience, bien qu’elle soit l’œuvre de l’esprit, d’éléments fournis par l’expérience, et étrangers, pris en eux-mêmes, à toute idée d’espace et de temps. De sensations simplement données comme distinctes les unes des autres, il s’agirait de faire sortir l’espace et le temps. Des qualités on tirerait les quantités ; de l’intensif, l’extensif. C’est la thèse que l’empirisme a toujours soutenue. La forme la plus récente qu’ait prise cette doctrine est celle que lui ont donnée Lotze et Wundt par l’hypothèse des signes locaux. M. Colsenet discute avec soin cette doctrine, et n’a pas de peine à montrer qu’à parler rigoureusement elle ne peut expliquer la genèse des notions d’espace et de temps. Il eût été mieux inspiré, à notre sens, en s’attachant à la doctrine de Bain et de Spencer, plus profonde et mieux élaborée. Mais il est juste de reconnaître que les arguments invoqués contre l’une valent contre l’autre. Par aucun effort de logique on ne peut tirer le temps et l’espace d’éléments qui déjà ne les contiennent. Si la construction paraît quelquefois réussir, c’est que subrepticement et par contrebande on a introduit dans-les éléments ce qu’il faut en extraire. En réalité, « le travail supposé antérieur à la conscience ne peut arriver à l’espace qu’en partant de l’espace. » En outre, dans une analyse très forte, M. Colsenet montre que l’espace et le temps, étant les conditions de la connaissance, et non pas des connaissances possibles, ils ne sont pas susceptibles de tomber sous la conscience. Or, et c’est une définition importante à noter, un fait ne peut être dit inconscient que si, susceptible de tomber dans la conscience, en réalité il n’y tombe pas : l’inconscient ne peut se définir que par rapport à une conscience possible. Il n’y a donc pas lieu de faire intervenir ici l’inconscient.

Il n’en est plus de même s’il s’agit des sensations ou des perceptions. Un grand nombre de faits curieux, empruntés à I’Optique physiologique d’HelmhoItz et aux belles études de Delbœuf sur la Psychologie considérée comme science naturelle, ne peuvent s’expliquer que par un travail inconscient de l’esprit. M. Colsenet n’a pas craint de citer des exemples à profusion, car il s’agit de préparer une conclusion d’apparence étrange et paradoxale, et il faut forcer l’adhésion ; mais ici nous devons nous borner. Un seul exemple suffira. « On place une feuille de papier à lettres, blanc et mince, sur une autre feuille colorée, par exemple en vert, toutes deux étant exactement de la même grandeur ; après les avoir amenées à coïncider de tous points, on intercale un petit morceau de papier gris, aussi foncé, ou un peu plus foncé que le vert. La transparence du papier blanc laisse voir faiblement le vert et le gris ; et le dernier se teint nettement et vigoureusement en rose. Si l’on fait varier la couleur du papier employé, le gris vu à travers le blanc présente toujours la coloration complémentaire. On réussit fréquemment à trouver des conditions telles que la couleur complémentaire par contraste ressorte plus distinctement que la couleur du fond. » Voilà donc un cas (et il y en a bien d’autres encore plus étranges) où nous voyons distinctement ce qui n’existe pas. Rien