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rité. Mais si le fugitif est un guerrier, et à ce titre capable de fournir un service de valeur, il s’offre en cette qualité en échange du refuge et de la protection qu’on lui accorde. Toutes choses égales, il se joint à un homme signalé par la supériorité de sa puissance et de ses biens, et apporte à cet homme déjà influent un moyen de le devenir davantage. Ces serviteurs armés, ne possédant comme étrangers aucun droit sur les terres du groupe, unis à leur chef par l’unique lien de l’allégeance, correspondent par leur situation aux comites des premières sociétés germaniques et à ce qu’on appelait jadis en Angleterre Huscarlas (Housecarls), guerriers dont les nobles s’entouraient. Il est évident du reste que des gens de cette sorte, unis à leurs protecteurs par certains intérêts communs, et séparés par tous leurs intérêts du reste de la société, deviennent dans les mains de leurs maîtres des instruments dont ils se servent pour usurper les droits communaux et s’élever eux-mêmes sur l’abaissement de tous les autres.

Graduellement, le contraste s’aggrave. À ces esclaves, qui le sont devenus volontairement d’un chef, s’ajoutent d’autres esclaves capturés à la guerre, d’autres asservis pour payer des dettes de jeu, d’autres acquis à prix d’argent, d’autres en punition de crimes, d’autres pour dettes. Forcément, enfin, la possession d’un grand nombre d’esclaves, signe habituel de richesse et de puissance, a encore plus pour effet d’augmenter la richesse et la puissance, et de distinguer toujours davantage le rang supérieur d’avec l’inférieur.

Certaines causes concomitantes engendrent des différences physiques et mentales entre les membres d’une société parvenus à des positions supérieures et ceux qui sont restés dans les inférieures. Les dissemblances d’état légal, une fois créées, amènent des dissemblances de genre de vie, et celles-ci, par les changements constitutionnels qu’elles opèrent produisent bientôt des dissemblances d’état légal encore plus rebelles au changement.

Nous rencontrons d’abord la différence de régime alimentaire et ses effets. L’habitude, commune à toutes les tribus primitives, de ne laisser à manger aux femmes que les restes de l’homme, et l’autre habitude, qui marche avec la première, de ne pas permettre aux plus jeunes hommes l’usage de certaines viandes réservées à des hommes plus âgés, nous offrent des exemples du penchant inévitable qui porte d’habitude les forts à se nourrir aux dépens des faibles. Quand des divisions de classe s’établissent, elles ont habituellement pour conséquence une meilleure nutrition pour le supérieur que pour l’inférieur. Forster remarque que, dans les Iles de la Société, les classes inférieures souffrent souvent de la disette dont les classes supérieures