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étroit, qu’un « thane était déchu de sa terre libre pour sa mauvaise conduite dans la bataille. »

À cette relation primitive entre l’état militaire et la propriété foncière, provenant de l’intérêt commun de ceux qui possèdent et occupent le sol soit individuellement, soit collectivement, à résister aux agresseurs, vient plus tard s’ajouter une relation nouvelle. À mesure qu’à la suite des succès militaires progresse l’évolution sociale, qui grandit la puissance d’un chef suprême, ce chef prend l’habitude de récompenser ses principaux capitaines par des dons de terre. Les anciens rois d’Égypte « conféraient à des officiers militaires éminents » des portions de terres distraites du domaine de la couronne. Quand les barbares s’enrôlèrent au service de Rome, « on les paya en leur assignant des terres, suivant un usage en vigueur dans les armées impériales. La propriété de ces terres leur était concédée à la condition que le fils serait soldat comme son père. » Chacun sait que des usages analogues régnèrent durant les âges féodaux ; c’était sur cette base que reposait la tenance féodale ; l’incapacité de porter les armes était une raison d’exclure les femmes de la succession. Comme exemple propre à montrer la nature de la relation, établie entre l’état militaire et la propriété, rappelons que « Guillaume le Conquérant… distribua son royaume en 60 000 parcelles, de valeur à peu près égale, chacune devant le service d’un soldat ; » l’une de ses lois prescrit à tous les possesseurs du sol de jurer qu’ils deviennent vassaux et tenants, » et qu’ils « défendront les domaines de leur seigneur et ses droits autant que sa personne, » en faisant « le service de chevalier. » La relation primitive entre l’état militaire et la propriété foncière a survécu longtemps les armoiries des familles d’un comté en Angleterre, aussi bien que les portraits des ancêtres qui sont la plupart représentés sous le costume militaire, en sont la preuve.

Du moment qu’il existe une classe de guerriers ou d’hommes portant les armes, qui dans les sociétés primitives sont les possesseurs du sol, à titre collectif ou individuel, ou en partie à l’un de ces titres et en partie à l’autre, il faut savoir comment cette classe se différencie en nobles et un hommes libres.

Naturellement, la réponse qui s’applique à la généralité des cas, c’est que, puisque l’homogénéité étant nécessairement instable, le temps amène inévitablement l’inégalité entre les hommes dont les situations étaient égales au début. Tant que la société n’est pas arrivée à l’état demi civilisé, la différenciation ne saurait être tranchée, parce qu’il n’existe pas alors d’exemples de grande accumulation de richesses et parce que les lois qui règlent la filiation ne