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h. spencer. — de la différenciation politique

guerriers, sont les possesseurs communs de la terre indivise, et ils résistent aux empiètements que les autres tribus peuvent y faire. Sans doute, dans l’état pastoral primitif, surtout quand la stérilité de la région oblige les membres de la tribu à se disperser au loin, ils errent sur une terre dont la propriété n’est pas bien définie ; la querelle entre les bergers d’Abraham et ceux de Loth se disputant des territoires de pâturage est un exemple d’une certaine revendication à l’usage exclusif du sol. Plus tard, chez les anciens Germains, chaque tribu se meut dans des limites tracées d’avance. Je rappelle ces exemples afin de montrer qu’au début il y avait identité entre la classe militaire et celle des propriétaires du sol. En effet, que le groupe social soit chasseur ou qu’il soit pastoral, les esclaves que les membres possèdent sont également exclus de la propriété du sol : les hommes libres, qui sont tous des combattants, deviennent naturellement les propriétaires du territoire. Cet état de choses, sous diverses formes, persiste longtemps durant les périodes subséquentes de l’évolution sociale, et il n’en pouvait guère être autrement. Comme la terre, dans les premières sociétés sédentaires, est à peu près la seule source de richesse, il arrive inévitablement que, tout le temps que le principe qui fait de la force le droit, règne sans restriction, l’homme qui est puissant est en même temps propriétaire. De là vient que partout où la terre, au lieu d’être la propriété de la société dans son entier, se trouve partagée entre les communautés de villages qui la composent, ou entre les familles, ou entre les individus, ceux qui la possèdent sont ceux qui portent les armes. Dans l’ancienne Égypte, « tout soldat était propriétaire foncier ; » il lui « était alloué un lot de six acres environ ». Dans la Grèce, les envahisseurs hellènes dépouillèrent du sol les anciens possesseurs, et désormais le service militaire et la propriété foncière allèrent ensemble. À Rome aussi, « tout propriétaire, depuis sa dix-septième jusqu’à sa soixantième année, était tenu au service militaire… même l’esclave émancipé le devait lorsque, par exception, il était devenu possesseur d’une propriété foncière. » II en était de même dans la société teutonique primitive. Avec les guerriers de profession, l’armée y comprenait « la masse des hommes libres distribués en familles, combattant pour leur château ou leur feu : » ces hommes libres, les markmen, possédaient la terre, partie en commun, partie comme propriétaires individuels. Il en était de même dans l’ancienne Angleterre. « Les hommes libres occupaient la terre comme cognats par suite de leur enregistrement sur le champ de bataille, où tous les parents se rangeaient sous les ordres d’un officier de leur famille et de leur choix. Le lien de dépendance qui les attachait au sol était si