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ANALYSES. — THOMAS FOWLER. Bacon’s Novum organum.

l’astronomie physique, et il proclame la possibilité de conclure du monde sublunaire au monde superlunaire, de ce qui s’observe sur la terre à ce qui se passe dans les sphères célestes et réciproquement, en termes qui semblent appeler Newton. On sait de même que certaine page du Novum organum a pu faire dire à Voltaire qu’il avait trouvé avant Newton la gravitation universelle[1]. Il attribue aux astres une influence fantastique sur les événements humains ; au moins entrevoit-il en même temps l’influence de la lune sur les marées. En premier, à ce qu’il semble, il pose la question fort judicieuse de savoir si le ciel est réellement tel qu’il nous apparaît à un moment donné (utrum cœli sereni et stellati facies ad idem tempus cernatur quando vere existit), c’est-à-dire si la lumière se propage partout instantanément, ou ne met pas plutôt un temps notable à parcourir les espaces célestes (potius tempore aliquo notabili delabi  : Nov. org., II, 46). Parmi les exemples, ou plutôt les observations, instantiæ[2] rapportées en si grand nombre dans le Novum organum, il en est d’une réelle portée scientifique, sur les causes de la couleur, sur la direction des vents, sur l’incompressibilité de l’eau, sur la nature de la chaleur. La chaleur est nettement présentée comme un mouvement d’expansion dans les menues particules des corps ; et le professeur Tyndall, exposant de la façon la plus lucide à la fois et la plus savante la moderne « théorie mécanique de la chaleur », fait à Bacon ce grand honneur, de citer en appendice une grande partie de ce 20e aphorisme du livre II, écrit il y a plus de deux cent cinquante ans, en plein règne du fluide calorique.

Il est vrai que Bacon rend lui-même suspectes par un reste de langage scolastique ses vues les plus neuves et les plus heureuses : chercher la nature de la chaleur, c’est pour lui chercher la forme du chaud : disquisitio de forma calidi. Mais ce mot forme, dont il use et abuse, ne doit pas nous donner le change. D’après l’excellente dissertation de M. Fowler sur le sens qu’il donne à ce mot, d’après les principaux textes soigneusement recueillis et rapprochés, il est visible que la forme n’est pas seulement pour Bacon, comme pour les scolastiques, l’essence inerte et toute logique des choses, la définition verbale des choses par leurs attributs les plus connus ; c’est pour lui, comme pour Aristote, la nature fondamentale de la chose, c’est-à-dire à la fois le caractère essentiel et la différence propre qu’elle offre à l’analyse et aussi (car ce sont choses inséparables, au fond identiques) la cause qui la produit, la condition nécessaire et suffisante de son

  1. Nov. org., II, 36, (3). — M. Fowler renvoie à cette page, qui, dit-il avec raison, fait le plus grand honneur à la sagacité scientifique de Bacon, et l’annote avec soin ; on s’étonne qu’il ne relève pas la contradiction entre les passages de ce genre (car il y en a plusieurs), si heureusement inspirés, et ceux que lui-même met ailleurs au passif de son auteur, dans lesquels Bacon donne une explication si naïvement anthropomorphique du « mouvement des graves vers la terre et des corps légers vers le ciel ».
  2. Sur le sens de ce mot, voir Fowler, p. 201 et 406, notes.