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LA PHILOSOPHIE DE SCHOPENHAUER

contradiction OU plutôt, comme j’inclinerai à le croire, un point de vue propre à l’idéalisme et qui est à peu près inintelligible en dehors de lui.

L’idéalisme de Schopenhauer est la partie la moins originale de sa doctrine. Il reproduit Kant et Berkeley. On sait que Berkeley soutenait que comme nous ne connaissons que nos états de conscience, nous n’avons pas de raisons pour supposer qu’il y ait rien en dehors d’eux et que par conséquent les choses n’existent qu’autant qu’elles sont perçues (their esse is percipi). Kant posa la question d’une manière bien plus nette et bien plus profonde, en commençant par une critique préalable des conditions de la connaissance, et en distinguant ainsi l’apparence de la réalité, ce qui nous est donné, de ce qui est ou peut être. Nous avons vu que Schopenhauer prend pour base la critique de Kant, mais sans renier Berkeley i.

1. Frauenstaedt, qui a recherché les antécédents historiques de l’idéalisme de Schopenhauer, cite les Lettres philosophiques de Maupertuis publiées en 1752. Il en donne de longs fragments parmi lesquels nous choisissons ce qui suit :

« Si je réfléchis attentivement sur ce qu’est la dureté et l’étendue je n’y trouve rien qui me fasse croire qu’elles soient d’un autre genre que l’odeur, le son et le goût. Si on croit que dans cette prétendue essence du corps, dans l’étendue, il y a plus de réalité appartenant aux corps mêmes, que dans l’odeur, le son, le goût, la dureté, c’est une illusion. L’étendue, comme les autres, n’est qu’une perception de mon âme transportée à un objet extérieur, sans qu’il y ait dans l’objet rien qui puisse ressembler à ce que mon âme aperçoit… Réfléchissant donc sur ce qu’il n’y a aucune ressemblance, aucun rapport entre nos perceptions et les objets extérieurs, on conviendra que tous ces objets ne sont que de simples phénomènes. L’étendue que nous avons prise pour la base de tous ces objets, pour ce qui en constitue l’essence, l’étendue elle-même ne sera qu’un phénomène… Voilà où nous en sommes : nous vivons dans un monde où rien de ce que nous apercevons ne ressemble à ce que nous apercevons. Des êtres inconnus excitent dans notre âme tous les sentiments, toutes les perceptions qu’elle éprouve, et, ne ressemblant h aucune des choses que nous apercevons, nous le représentent toutes. » (Frauenstaedt, Briefen. 3. w. 14e lettre).